La faux et le marteau


La faux et le marteau


Lizzie Crowdagger

La faux et le marteau par Lizzie Crowdagger, version 1.0

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Le colonel Colin regardait les déserteurs alignés contre le mur lorsqu’il s’aperçut de la présence de la femme, au bord de son champ de vision.

Du moins, il pensait que c’était une femme, mais elle avait un physique plutôt androgyne. Si le colonel Colin ne l’avait jamais vue par le passé, il se serait demandé ce qu’elle faisait là, mais il avait déjà eu l’occasion de la croiser de nombreuses fois sur le champ de bataille. Quand bien même cela n’aurait pas été le cas, le fait qu’elle était appuyée contre une faux dont la lame était au sol aurait pu lui donner une idée de son identité.

Le colonel Colin se rappelait avec beaucoup de détails la première fois qu’il avait vu la Mort. C’était pendant son service militaire, lorsqu’il avait abattu un terroriste du coin qui voulait s’en prendre à son régiment avec un cocktail molotov. Il n’avait aperçu la Faucheuse que pendant peut-être un quart de seconde, mais l’image s’était gravée sur sa rétine à vie, et il n’avait jamais douté de ce qu’il avait vu.

Au cours de sa carrière militaire, il l’avait recroisée à de nombreuses reprises. Pour ce qu’il en savait, il était le seul à être capable de la voir. Il considérait cela comme une sorte de privilège, et aimait à penser qu’il avait une sorte de lien avec elle, peut-être en raison du nombre importants d’ennemis qu’il lui avait envoyés.

Pour cette raison, le colonel sourit brièvement en voyant la Faucheuse assister à l’exécution, puis il se mit à lister les noms des déserteurs et les raisons de leur condamnation.

Ils étaient environ une vingtaine. Non seulement ils avaient refusé de se battre, mais avaient carrément sympathisé avec les soldats ennemis. Le colonel prononça quelques phrases dont il fut assez fier pour humilier les traîtres à leur patrie, puis il donna l’ordre d’exécution.

Un des condamnés, plus brave ou plus illuminé que les autres, commença à répondre :

« Je pisse sur la patrie ! Tous les hommes sont... »

Mais il n’eut pas le temps de terminer sa phrase car une balle l’atteignit entre les deux yeux, et il s’écroula.

Le colonel jeta un coup d’œil satisfait et s’apprêtait à donner l’ordre de ramasser les cadavres lorsqu’il entendit :

« ... frères. Si les voleurs qui sont au pouvoir... »

Il y eut de nouvelles détonations et le condamné qui avait manifestement du mal à mourir se tut à nouveau. Avant de reprendre, en commençant à se relever :

« ... veulent piller un autre pays, qu’ils le fassent... »

Nouvelle salve. Le colonel constata avec horreur que l’homme n’était pas le seul à se relever, mais que tous les fusillés semblaient encore en vie, malgré les trous dans leur peau et le sang qui coulait de partout.

« ... eux même », termina l’homme, non sans difficulté, car une balle lui avait perforé la gorge.

Il était maintenant debout, tandis que les autres condamnés finissaient de se relever. Un certain nombre des soldats qui avaient assisté au spectacle avaient déjà lâché leur arme et pris leurs jambes à leur cou.

Le colonel Colin alla se planter en face de la Mort, qui était toujours appuyée contre sa faux, et lui demanda :

« Bon sang ! Qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi ils ne meurent pas ?

— Vous pouvez me voir ? demanda la Mort, manifestement étonnée.

— Évidemment, sinon je ne vous parlerais pas ! s’emporta le colonel. Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Il se passe, expliqua calmement la Mort, que je suis en grève.

— Quoi ? demanda le colonel. Vous ne pouvez pas !

— Si, je peux. Vous savez combien de morts vous m’avez envoyés depuis les cinq dernières années ? Vous avez idée du travail que ça demande ? Alors, voilà. Je suis en grève. »

Les morts, ou en tout cas ceux qui auraient dû l’être, s’approchaient lentement du colonel, mais celui-ci ne leur prêta pas attention.

« Vous n’avez pas le droit ! s’emporta le colonel alors qu’un non-mort posait sa main sur son épaule. Je vous ordonne de reprendre le travail !

— Oh ? fit la Mort. Vous m’ordonnez ? Dans ce cas, d’accord. »

Elle s’empara de sa faux au moment précis ou un non-mort mordait le colonel au cou.