« Chapitre 4

Chapitre 5

« Tu es prête ? » demanda Ly.

Axelle jeta un coup d’œil vers le bas. Elle ne voyait pas grand-chose. Seules les lumières de quelques villages orcs se détachaient de la nuit. Même dans l’obscurité, ils paraissaient bien loin.

« Je ne sais pas trop », répondit-elle en vérifiant que le sac qu’elle portait sur le ventre était bien attaché.

« On arrive au point de non-retour. »

Axelle prit une grande inspiration, vérifia une nouvelle fois que le sac était bien attaché, et ferma les yeux.

Puis elle s’élança dans le vide.

***

« Bon », avait annoncé William, une cigarette dans la bouche, « quelques mots sur le Darnolc. »

Ly avait étouffé un bâillement, mais Axelle et Kalia écoutaient consciencieusement.

Le Darnolc était, du point de vue technologique, à peu près au même niveau qu’Erekh, mais avait comblé en quelques années un important retard. Cela avait eu un impact brusque dans les campagnes, où la modernisation de l’agriculture avait privé des milliers de paysans de leurs terres, ne leur laissant d’autre choix que d’aller travailler douze heures par jour dans les villes pour survivre. La brutalité du changement et la concentration de milliers de travailleurs dans certaines fabriques avaient fait émerger des groupes contestataires organisés.

Les deux groupes les plus importants étaient les Onims et les Nytelovers. Les premiers souhaitaient rester dans le cadre de la légalité et persuader le roi, les seigneurs et les propriétaires d’usine d’accorder plus d’importance aux conditions du peuple, tandis que les Nytelovers voulaient rien moins que l’abolition de la monarchie, par tous les moyens nécessaires. Ils avaient été dissous après des émeutes mais restaient fortement présents dans certains endroits, de manière clandestine dans les usines et ouvertement dans certains villages reculés.

Lorsque le roi, Elyareleth, pourtant au pouvoir depuis quatre ans, avait durci sa politique de répression, cela avait uni ces deux groupes dans l’illégalité puisque les Onims avaient été dissous à leur tour.

Par ailleurs, depuis un peu plus d’un an, Elyareleth s’était mis à dire tout le mal qu’il pensait d’Erekh, gagnant ainsi la sympathie d’une partie de la population hostile aux humains, ce qui rendait les choses encore un peu plus compliquées.

« Concrètement, qu’est-ce qu’on a à foutre de tout ça ? avait demandé Ly.

— Concrètement, la mission d’Axelle consiste à s’infiltrer dans la forteresse de Tel Otsip, à libérer Edine Ertamine, qui se trouve être l’un des dirigeants des Nytelovers, et à repasser la frontière avec lui.

— Un jeu d’enfant, quoi, avait répondu Axelle.

— Ly te conduira en dragon au-dessus. En sautant, tu devrais pouvoir t’approcher relativement facilement. »

William s’était tu un moment, puis avait ajouté, en souriant : « Si tu es encore en vie, évidemment. »

***

Axelle sentait le vent glacé lui fouetter le visage alors qu’elle tombait en chute libre, tête la première, son sac serré contre le ventre.

Elle attrapa le verre enchanté auquel Kalia avait rajouté une sangle qui permettait de l’attacher autour de la tête et le plaça devant ses yeux, puis elle récita la formule obscure que l’elfe lui avait apprise. Le verre s’illumina en verdâtre. Elle put alors distinguer le sol en dessous d’elle, les arbres, ainsi que la forteresse de Tel Otsip.

Le tout se rapprochait dangereusement d’elle. Il allait être temps de tester si son idée marchait. Elle défit un cordon et sa cape noire se libéra, s’envolant loin au-dessus d’elle. Axelle avait maintenant le dos entièrement nu, le sac toujours serré contre le ventre. Elle ferma les yeux, respira profondément et essaya de faire ressortir son « moi » intérieur, sa vraie nature, celle qu’elle essayait en permanence de cacher, de refouler au fond d’elle-même. Elle pouvait sentir monter la colère qu’elle essayait habituellement de maîtriser. Sur son dos, sous la peau, une forme commençait à s’agiter, comme un serpent.

Puis il y eut un choc violent et Axelle ne put s’empêcher de pousser un cri de douleur alors que ses ailes noires se déployaient. Elle n’avait pas pensé que ça lui ferait aussi mal. Elle avait prévu que les ailes ralentiraient sa chute, mais pas que, pour ça, elles lui massacreraient la colonne vertébrale.

En plus, elles ne la ralentissaient finalement pas tant que ça. Les arbres n’étaient plus qu’à quelques dizaines de mètres. Elle ferma les yeux un instant et se dit que, si elle avait encore cru en quelque chose, elle aurait bien prié.

L’atterrissage fut rude. Axelle commença par se faire égratigner par des branches, qui lui permirent cependant de ralentir un peu sa chute, et ce d’autant plus qu’elles ne tardèrent pas à se prendre dans les ailes, les déchirant en partie.

Elle grimaça tandis qu’elle était ballottée, mais elle bénit le seigneur des ténèbres pour lui avoir donné des ailes non innervées. Lorsqu’elles finirent de se déchirer, elle alla rouler par terre, ce qui acheva d’arracher les quelques lambeaux qui étaient restés accrochés à son dos.

Elle resta quelques instants allongée au sol, avant de parvenir à se mettre à genoux. Elle défit la lanière du sac, le laissa tomber au sol et termina de se relever. Son dos n’était plus qu’une grande plaie, avec encore quelques morceaux de l’ossature des ailes qui dépassaient. Elle n’était pas en grande forme, mais elle vivait.

Sa mission pouvait commencer.

***

Axelle assomma une sentinelle, la fouilla quelques instants et attrapa son trousseau de clés, puis se glissa vers l’épaisse porte et l’ouvrit.

Dans un petit lit se trouvait un orc qui, contrairement à ceux qu’elle avait croisés pour l’instant, portait des cheveux qui lui allaient jusqu’aux épaules.

« Edine ? » chuchota Axelle.

L’orc se réveilla en sursaut et dit quelque chose que la jeune femme ne comprit pas.

« Je suis venue vous aider, annonça-t-elle. Vous parlez ma langue ?

— Oui », répondit Edine en écarquillant les yeux. Il ne parvint cependant pas à voir grand-chose à cause de l’obscurité. « Qui êtes-vous ?

— On verra ça plus tard, si vous voulez bien. Il faut qu’on sorte d’ici.

— Comment ?

— Comme on peut. Suivez-moi.

— Dans cette obscurité ? »

Axelle jura intérieurement. Elle avait oublié que l’orc ne disposait pas du verre de Kalia.

***

Sortir de la forteresse fut plus rapide que d’y entrer, mais à peine Axelle et Edine eurent-ils fait quelques pas en direction de la forêt qu’ils entendirent des cris venant du bâtiment.

Ils commencèrent à entendre des aboiements lorsqu’ils atteignirent les premiers arbres et continuèrent à courir sur quelques centaines de mètres. Cependant, les chiens semblaient se rapprocher et Axelle comprit qu’ils ne pourraient pas s’enfuir ; du moins, pas tous les deux.

« Servez-vous de ça, cria-t-elle en retirant le verre et en le passant à l’orc. Allez vers l’ouest. Il y a une fille aux cheveux rouges qui vous attend. Elle a un dragon.

— Et vous ?

— Je les retarde. Dépêchez-vous ! »

L’orc allait protester, mais réalisa que ce n’était pas le moment et enfila la sangle du verre.

« Qui que vous soyez, merci », lança-t-il avant de se mettre à courir.

Axelle chercha l’arbalète de Kalia dans son sac, puis sourit en réalisant qu’elle ne lui servirait pas à grand-chose. Elle pouvait entendre les chiens qui se rapprochaient mais, dans l’obscurité, il lui était impossible de viser. Elle serra l’arme contre elle et pensa à l’elfe.

***

Avant que le dragon ne s’envole, Kalia était venu lui dire au revoir en pleurant. Axelle avait essuyé ses larmes du revers de la main.

« Je reviendrai, avait-elle promis une nouvelle fois.

— Tu as intérêt. Sinon, je t’invoque et tu deviendras mon esclave.

— Ce serait avec plaisir. »

Kalia avait hoché la tête, essayé de sourire et s’était mordu la lèvre. Elles s’étaient regardées et avaient hésité un moment. Puis elles s’étaient embrassées et finalement Axelle était partie.

***

Axelle essuya la larme qui avait coulé le long de sa joue et épaula l’arbalète. Même si elle ne pouvait pas voir les chiens qui se rapprochaient, elle les entendait.

Elle tira plusieurs fois. Détente, levier, détente. Détente, levier, détente. Le cylindre qui contenait les carreaux tournait à sa vitesse maximale et l’arme les crachait dans l’obscurité. Elle ne savait pas trop si cela servait vraiment à quelque chose, mais il lui semblait avoir au moins entendu un chien japper après qu’elle ait tiré. Ça en ferait toujours un de moins derrière Edine.

Axelle venait d’arriver à court de munitions lorsqu’un chien lui sauta dessus. Il était imposant et le choc fut rude, mais la jeune femme tint bon et parvint à envoyer l’animal rouler dans la boue. Elle attrapa un bâton et s’en servit pour réceptionner en l’air une autre bête.

Il fallut deux autres molosses pour réussir à la mettre à terre. Tandis que l’un s’acharnait sur sa jambe, l’autre lui lacérait le visage. Axelle hurla de douleur, mais elle parvint tout de même à sortir son couteau et à égorger celui qui la menaçait le plus immédiatement.

Les autres animaux l’auraient probablement dévorée vivante s’ils n’avaient pas été rappelés. Axelle entendit plus qu’elle ne vit les soldats orcs s’approcher d’elle et elle espéra, avant de s’évanouir, que Kalia finirait par trouver un moyen de l’invoquer.

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