« Chapitre 9

Chapitre 10

« On devrait atteindre Nonry avant la tombée de la nuit, annonça Axelle à Edine.

— Si nos chevaux ne sont pas morts d’épuisement d’ici là », répliqua l’orc.

Ils chevauchaient depuis plusieurs jours. Axelle ne semblait accorder aucune importance à la santé de leurs montures ; pas plus qu’à la siennne. En effet, malgré les avertissements d’Edine, elle s’était rapidement remise à marcher. À la surprise de l’orc, elle allait pourtant de mieux en mieux. Non seulement sa jambe était redevenue capable de la porter mais elle boitait à peine.

La démone, elle, ne partageait pas le soulagement du docteur. D’accord, sa jambe allait mieux, mais son œil n’avait toujours pas repoussé et elle commençait à croire qu’il ne guérirait pas. Ce n’était pas absolument dramatique en soi, étant donné qu’après tout elle en avait un autre, mais elle commençait à trouver que ses pouvoirs avaient fortement décliné depuis qu’elle avait abandonné l’Enfer.

Elle n’aimait pas particulièrement sa nature maléfique et elle n’avait pas une grande soif de puissance ; elle n’avait jamais ressenti le besoin de pousser des « Mouahahahahaha » sous des cieux orageux. Non, elle préférait avoir une vie normale, ou presque. Le « ou presque » faisait tout de même une sacrée différence. C’était ça qui permettait à Axelle de s’empiffrer sans craindre de perdre sa ligne, qui faisait qu’elle n’avait pas à se maquiller pour cacher les imperfections de son visage, ou encore qui lui donnait une chance dans un combat à dix contre une sans avoir à s’entraîner des heures durant pour entretenir ses muscles et ses techniques de combat.

Jusque-là, elle avait toujours affronté les obstacles en partant du principe que rien de bien grave ne pouvait lui arriver et qu’elle s’en tirerait sans une égratignure. Son orbite vide en était une importante, d’égratignure, qui lui montrait qu’elle était vulnérable, ce qui lui semblait relativement inédit. Elle n’était pas certaine d’aimer cela.

« Bon ! lança Edine en mettant pied à terre. J’ai besoin d’une pause.

— D’accord. D’ailleurs, il faut qu’on décide de ce qu’on va faire en ville.

— J’aimerais bien m’entretenir avec la reine », expliqua l’orc.

Axelle était au courant. Il avait tenu à l’accompagner jusqu’à Nonry pour avoir une chance de la rencontrer. Ce n’était pas qu’il vouait un culte aux têtes couronnées, mais il espérait que la reine pourrait accepter de soutenir les Nytelovers, ou au moins de ne pas chercher à les éliminer si la guerre devait éclater.

La présence d’Edine encombrait Axelle. Non qu’il fût de mauvaise compagnie, mais il fallait éviter que les gens ne remarquent qu’il était un orc. Cela allait devenir encore plus problématique en ville.

« La reine, on verra après. Il faut d’abord qu’on trouve un moyen d’arriver à mon appartement sans se faire remarquer.

— La capuche, ça ne suffira pas ? »

La démone soupira.

« Je ne sais pas comment ça se passe au Darnolc mais, ici, un type qui se cache le visage sous une capuche, accompagné d’une femme à qui il manque un œil, ça ne passe pas inaperçu. Bon, on verra ça dans deux minutes, j’ai une urgence, si tu vois ce que je veux dire. »

***

Tandis qu’Axelle assouvissait un besoin naturel, une ombre s’avançait furtivement derrière Edine et pointa une petite arbalète vers lui.

« Levez les mains, ordonna-t-elle. Lentement. »

L’orc obéit.

« Bien. Écartez-vous des chevaux. Je suis désolée, mais je vais devoir vous en emprunter un. Voilà. Tournez-vous, maintenant. »

Edine obéit à nouveau et provoqua la stupéfaction de la femme.

« Vous… vous êtes un orc ?

— Ouais. Et vous, vous êtes qui ?

— Celle à qui tu voulais causer, répondit Axelle en terminant de reboutonner son pantalon. Lucie de Guymor, reine d’Erekh. » Puis elle se tourna vers cette dernière et demanda : « Qu’est-ce que tu fais là ? »

Axelle était probablement la seule personne du royaume à se permettre de tutoyer la reine, mais cette dernière ne parut pas s’en formaliser.

« J’ai des ennuis, expliqua-t-elle. Léhen veut ma place. Il y a des hommes à mes trousses. Armand voulait les retarder, mais…

— Par où ? coupa Axelle en remontant à cheval.

— Là, répondit la reine en pointant le doigt dans la direction qui menait à la ville, mais ils sont trop nombreux… »

La jeune femme ne l’entendait plus, car elle avait déjà lancé son cheval au galop.

***

Armand s’adossa contre un arbre pour ne pas s’écrouler. La situation n’était pas vraiment en sa faveur : il avait beau avoir éliminé deux adversaires, il était encore seul contre cinq ennemis, avec un carreau enfoncé dans la cuisse.

« Je ne le demanderai qu’une fois », annonça Balthasar à cheval, alors qu’un de ses hommes, lui aussi sur sa monture, menaçait leur ennemi avec une arbalète. « Où est la reine ?

— Ailleurs.

— Oh, souffla Balthasar. Très malin. Bon, éliminez-le. »

L’homme à l’arbalète n’eut pas le temps d’obéir, car il s’écroula, un carreau enfoncé dans le dos.

***

Axelle arrivait au galop sur les combattants et elle était assez fière d’avoir réussi à atteindre sa cible à cette distance et à cette vitesse. Elle était aussi contente de toujours avoir l’arbalète de Kalia, car il lui avait tout de même fallu trois carreaux pour cela.

***

Armand essaya de profiter de la diversion pour retourner la situation à son avantage, mais il se trouva immédiatement menacé par deux lames.

« Tss, lâcha Balthasar. Guillaume, Antoine, réglez-lui son compte, les autres viennent avec moi s’occuper du nouveau venu. »

***

Le cheval d’Axelle s’écroula lorsqu’il reçut un carreau en plein front. La jeune femme lâcha son arme et roula par terre, avant de se redresser et de courir vers ses adversaires.

Le plus proche était un géant roux armé d’une masse d’arme. La jeune femme esquiva le coup qu’il lui portait et lui envoya un coup de poing dans l’estomac, ce qui aurait pu avoir un effet si l’homme n’avait pas porté un plastron. Son adversaire riposta en l’envoyant au sol et l’empêcha de se relever en plaquant un pied gigantesque sur sa cage thoracique.

« Urgl, lâcha Axelle.

— Hé, fit l’homme. Regardez, chef, on dirait que notre oiseau est en fait une jolie poulette.

— On pourrait en profiter un peu, suggéra son acolyte.

— Pas le temps », répliqua Balthasar en descendant de cheval et en envoyant un couteau de jet dans la main gauche de la jeune femme, qui se mit à hurler.

« Le prochain est pour ton cou si tu ne réponds pas à ma question : qui es-tu, et où est la reine ?

— Ça fait deux questions. Je m’appelle Axelle CrèveCœur, danseuse au Chaud Dragon, et la reine est juste un peu plus loin sur la route. »

Balthasar hocha la tête.

« Bien. Allons-y.

— Et elle, on en fait quoi ?

— Vous me libérez, répondit Axelle.

— Je ne pense pas, non, fit Balthasar. Attachez-la. Je n’aime pas tuer les femmes.

— J’ai dit : libérez-moi, répéta Axelle, plus fort. Vous êtes censés obéir. »

Les soldats la regardèrent sans comprendre. Axelle soupira. Apparemment, son talent de persuasion ne marchait plus non plus. Ses pouvoirs démoniaques n’étaient vraiment plus que l’ombre de ce qu’ils avaient été.

« Oh, et puis merde. »

Sans prendre la peine de retirer le couteau de sa paume, elle transperça le tendon d’Achille de l’homme qui la clouait au sol et se redressa avec un petit bond. Elle envoya ensuite la lame dans le cou de l’autre soldat, son pied dans la tête de Balthasar et acheva le géant qui luttait pour ne pas perdre l’équilibre avec un uppercut.

« Ah, quand même », fit Armand, l’épée nonchalamment posée contre l’épaule. « J’ai bien cru que j’allais devoir t’aider. »

***

Armand expliqua la situation de la ville pendant qu’Edine lui bandait la jambe.

« Vous comptez aller où, alors ? demanda Axelle qui n’avait pas pris la peine de soigner sa main.

— J’espère que les elfes me soutiendront, expliqua la reine.

— Vous venez avec nous ? demanda Armand.

— Il n’y a qu’une seule elfe qui m’intéresse, répliqua la démone, et elle est à Nonry.

— Je ne sais pas si c’est une bonne idée. La ville va…

— Je vais à Nonry, répéta Axelle en montant sur le cheval de Balthasar. Edine, tu devrais les accompagner. Ça te donnera une occasion de discuter avec la reine.

— Non, je viens avec toi. Je crois que je serai plus utile là-bas. »

***

Axelle regardait la Porte Est, qu’elle voyait pour la première fois fermée. Elle se demanda s’il suffisait de frapper pour pouvoir entrer.

« Ohé ! cria-t-elle plutôt.

— La Porte est bloquée, répondit un nain du haut du rempart. Léhen ne passera pas !

— J’ai la gueule de Léhen ?

— On ne peut pas ouvrir. Désolé.

— Faites descendre une corde, alors. On va pas y passer la nuit.

— Les ordres sont de ne laisser entrer personne. »

Axelle jura. Elle n’avait aucune envie de faire le tour par la Porte Sud, non seulement parce qu’elle était paresseuse, mais aussi et surtout parce qu’elle préférait ne pas croiser de soldats.

« Vous pourriez demander à Kalia de venir, alors ? J’ai besoin de la voir. Vous savez qui c’est ?

— Vous êtes des amis à elle ?

— Ouais.

— Je vais chercher une corde. Un instant. »

***

Axelle fut la première à grimper. Les nains se regardaient tous d’un air anxieux.

« Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle.

— C’est que…

— C’est Kalia, expliqua un nain, la tête baissée. Elle est morte. »

La jeune femme sentit le monde s’effondrer sous ses pieds.

« Quoi ? demanda-t-elle faiblement. Ce n’est pas possible !

— On vient de l’apprendre. Dans le Déni, ils doivent en savoir plus. Je suis désolé.

— Non… », commença la démone en s’asseyant par terre. « Ce n’est pas possible », répéta-t-elle faiblement.

Pendant ce temps, Edine venait de prendre pied à son tour sur la muraille.

« Bon sang ! coupa un nain. C’est un orc ?

— Et alors ? demanda le concerné. Vous, vous êtes bien des nains. On est tous dans le même camp.

— Mon père est mort pendant la dernière guerre contre ces ordures ! » protesta un insurgé, rapidement approuvé par d’autres.

« Je suis venu ici en espérant que vous n’aurez pas à mourir dans la prochaine, répliqua Edine. Je n’ai pas envie de me battre contre vous. Je suis médecin. Je peux vous aider.

— On n’a pas besoin de toi !

— Bien dit !

— Hum, vous peut-être pas, mais Ödel s’est pris une flèche dans le ventre…

— On ne va pas laisser un orc le toucher !

— Ben, mieux vaut un orc que la Mort, non ?

— Montrez-le-moi, dit Edine en hochant la tête. Je vais voir ce que je peux faire.

— Moi, fit Axelle en se relevant, je vais voir ce qui est arrivé à Kalia. On se retrouve plus tard. »

Elle était restée effondrée pendant une minute sans parvenir à réaliser qu’elle ne reverrait jamais son amie ; mais maintenant, elle était en colère. Il fallait que quelqu’un paye.

« Elle est morte, protesta Edine. Je suis désolé et je comprends ta peine, mais tu ne crois pas que les vivants passent d’abord ?

— Non. Je veux savoir comment elle est morte et ensuite, je vais vouloir savoir qui en est responsable. Après, je m’occuperai de certains vivants, et ils ne vont pas le rester longtemps. »

***

« C’est toi, le Borgne ? demanda Axelle. T’es pourtant moins borgne que moi.

— C’est un état d’esprit, répliqua le Borgne en se tournant. Tu veux quoi ?

— Savoir ce qui est arrivé à Kalia.

— Elle a été blessée au début des combats. Elle voulait raisonner ses anciens collègues, mais elle s’est fait descendre. Ils l’ont amenée avec eux. Je n’en sais pas plus.

— Elle pourrait être en vie ? demanda la démone avec espoir.

— Elle était salement amochée et ils ont exécuté des prisonniers. Ça m’étonnerait beaucoup qu’elle soit vivante.

— Est-ce qu’il y a une chance ? » s’entêta Axelle.

Le Borgne parut réfléchir un instant, puis répondit froidement :

« Non.

— Comment je peux aller de l’autre côté ?

— Ce n’est pas une bonne idée. Je ne sais pas qui tu es, mais ce n’est pas en mourant que tu ramèneras ton amie. »

Axelle attrapa le Borgne par les épaules et le plaqua contre le mur.

« T’as raison, siffla-t-elle. Tu ne sais pas qui je suis. Alors, ne me fais pas chier. Comment je vais de l’autre côté ?

— Du calme. Si tu as envie de mourir, c’est ton choix. Si tu sais ce que tu fais… »

La jeune femme le relâcha. Le Borgne fit signe aux quelques personnes qui s’étaient tournées vers le début d’altercation que tout allait bien.

« On a fait sauter les ponts pour se protéger, expliqua le Borgne. Tu peux tenter la nage, mais c’est risqué. S’ils te repèrent, tu es morte.

— Je n’aime pas la flotte.

— Par le centre-ville, les rues sont barrées. C’est là où il y a tous les combats. Ce n’est pas une bonne idée. À ta place, j’attendrais la nuit et je passerais à la nage.

— Tu n’es pas à ma place.

— Tu n’as aucune chance de pouvoir passer par le centre. C’est l’enfer, là-bas.

— Ce que t’appelles l’enfer, j’appelle ça chez moi », répliqua la démone en se mettant en marche.

***

Axelle commença par atteindre le Chaud Dragon en passant par les égouts. Elle empruntait un passage qui partait depuis le quartier Nain ; elle l’avait déjà utilisé après avoir commis des larcins afin d’éviter les patrouilles de gardes.

Lorsqu’elle arriva dans la cave de la taverne, elle réalisa que les choses ne se passaient pas exactement comme prévu.

***

« Allez au Diable ! » hurla Diane, et la main gantée d’un soldat s’abattit à nouveau sur son visage.

Malgré la résistance des travailleuses du Chaud Dragon et d’un certain nombre d’habitants du quartier, les gardes étaient parvenus à franchir la barricade. Ils avaient alors enfermé un certain nombre de femmes dans la taverne.

« Vous n’êtes qu’un tas d’ordures, reprit Diane, et nous…

— Tais-toi, traînée ! hurla un des hommes en la frappant une nouvelle fois.

— Très bien, très bien », tempéra le lieutenant qui commandait la vingtaine de soldats qui occupaient les lieux. « Je pense qu’elle a compris. »

Le lieutenant fit quelques pas d’un air négligent, laissant son regard courir sur les femmes que ses hommes tenaient en joue avec leurs arbalètes.

« Qu’avons-nous là ? demanda-t-il sur un ton hautain. Non seulement des filles de petite vertu, aux mœurs plus que douteuses, mais en plus rebelles et violentes. Vous faites vraiment honte à notre ville.

— C’est gonflé », commenta une voix qui venait de derrière les soldats.

Ces derniers se retournèrent, surpris, et aperçurent Axelle, adossée au mur, les bras croisés.

La position était soigneusement étudiée. Un, elle faisait ressortir sa poitrine en mettant ses bras juste dessous et, deux, elle cachait l’arbalète qui se trouvait dans son dos.

« Qui t’es, toi ? demanda le lieutenant.

— Axelle CrèveCœur. Je travaille ici. Et je trouve que vous êtes gonflés.

— Et pourquoi ça ?

— Vous venez nous faire chier avec votre morale, vos bonnes mœurs, mais si on se déshabille devant des connards dans votre genre, ce n’est pas pour le plaisir, mais parce qu’il faut bien vivre. Vous êtes les premiers à nous demander d’aller plus loin et à nous emmerder quand on refuse. »

Le lieutenant dévisagea la jeune femme un moment. Elle n’avait pas des habits qui mettaient en valeur son physique. Elle était sale, avait un bandeau sur l’œil droit et aurait eu besoin d’une bonne semaine de sommeil, mais, étrangement, tout cela la rendait encore plus attirante.

Il s’approcha d’elle sans un mot, dans un silence pesant. Tout le monde regardait le lieutenant en attendant anxieusement sa réaction. Lui regardait Axelle.

Il se plaça finalement juste devant elle, un sourire aux lèvres.

« T’as peut-être raison, admit-il. Ouais. En fait, le problème, c’est que vous en faites trop ou pas assez. Évidemment, si vous étiez prêtes à aller plus loin, on pourrait s’arranger. Si tu vois ce que je veux dire…

— Je vois ce que tu veux dire », fit Axelle en souriant, avant de lui donner un coup de tête qui lui écrasa le nez.

Elle le fit ensuite tourner, plaça un couteau sous sa gorge et leva son arbalète vers les autres soldats.

« Eh bien, annonça-t-elle en souriant toujours, je vous assure que je suis prête à aller jusqu’au bout. Lâchez vos armes. »

Les soldats se regardèrent en hésitant, tandis que le lieutenant essayait d’oublier la douleur et le sang qui coulait de son visage.

« Lâchez vos armes, répéta Axelle. Ou je vous descends jusqu’au dernier.

— Vous ne feriez pas… », commença un soldat avant de réaliser que la jeune femme avait déplacé son arme vers lui et commencé à actionner la détente. « Vous le feriez, corrigea-t-il.

— Oui. Et j’y prendrais du plaisir. »

La dernière remarque acheva de convaincre les hommes, qui déposèrent leurs armes. Les collègues d’Axelle s’occupèrent de les ligoter avec les moyens du bord.

« Bien, souffla la démone à l’oreille du capitaine en les regardant faire. Maintenant, j’ai une question pour toi. Je cherche une fille. Une elfe. Elle a été capturée dans l’après-midi et je veux savoir où elle est.

— Aucune idée. Même si je le savais…

— Attention, coupa la démone en rapprochant la lame. Je n’ai plus besoin de toi, alors réfléchis avant de répondre ou tu n’auras même pas le temps de le regretter.

— D’accord, déglutit le soldat. Elle a du être amenée à la place de la vertu, dans le quartier Haut.

— Bien », fit Axelle avant de l’assommer avec la crosse de l’arbalète. « Bon, je dois y aller. À plus.

— Attends ! » protesta Diane, à genoux et en train d’attacher les mains d’un soldat avec les lacets de ses chaussures. « Tu ne peux pas nous laisser !

— Désolée, répondit la démone, mais je dois trouver Kalia. Bonne chance. »

Elle s’éloigna sans laisser le temps à son amie de protester, mais s’arrêta sur le pas de la porte.

« Tiens, fit-elle en lui envoyant d’une main l’imposante arbalète. Ça vous aidera peut-être. »

Alors que Diane rattrapait l’arme et manquait de partir en arrière à cause de son poids, Axelle s’élança vers le quartier Haut.

Son petit cadeau n’était pas complètement altruiste. Elle ne pourrait pas abattre tous les gardes qu’elle croiserait et l’arme la ferait repérer à coup sûr. Le plus simple était encore de la laisser.

La place de la vertu était proche du palais royal, mais il n’était pas certain que Kalia s’y trouve. Dans tous les cas, il était probable que l’elfe était morte et, dans ce cas, Axelle pouvait se permettre de perdre un peu plus de temps pour prendre un peu moins de risque.

Ce ne fut pourtant pas le raisonnement que la jeune femme suivit ; à la place, elle abandonna la réflexion rationnelle et décida que, si Kalia était vivante, et même s’il n’y avait qu’une chance sur un milliard pour qu’elle le soit, elle devait la retrouver au plus vite. De toute façon, si elle était morte, plus rien n’aurait de réelle importance.

Axelle prit donc le chemin le plus direct et parvint à circuler sans être interpellée, ce grâce à l’obscurité qui commençait à tomber sur la ville, un peu de chance, et une certaine aura dont elle n’était pas consciente qui incitait la plupart des gens dotés d’un instant de survie à ne pas la remarquer. Ses pouvoirs démoniaques n’avaient pas tout à fait disparu.

Elle atteignit ainsi la place de la vertu et ce qu’elle vit lui souleva l’estomac. Il y avait des dizaines de personnes nues, pendues par les pieds. Le sol était couvert de sang séché. Mais le plus horrible, c’était qu’elle pouvait reconnaître sans hésitation son amie parmi les cadavres.

***

Axelle fit lentement redescendre le corps sans vie de l’elfe. Elle pleurait, ce qui était plutôt rare pour un démon.

« Hé, lança un des deux hommes qui gardaient la place. Vous ne pouvez pas faire ça.

— Je l’ai fait, répondit platement Axelle.

— Vous êtes en état d’arrestation », lança le second avec plus d’autorité.

La jeune femme se tourna vers eux et haussa les épaules.

« Rien à faire. Tuez-moi si ça vous chante.

— Eh ! fit le premier garde. Je vous reconnais ! Vous êtes la danseuse, là, CrèveCœur !

— Ouais.

— Hé mais dis donc… », ajouta le second garde, avec un sourire malsain, en levant son arbalète. « Je crois que ce soir tu vas pas être en mesure de nous crever le cœur, hein ? »

La jeune femme baissa la tête. Alors, voilà, c’était ce qu’ils voulaient, hein ? Eux aussi ?

Elle retira son manteau et le laissa tomber au sol d’un air résigné, pendant que les deux hommes s’approchaient d’elle en ricanant.

Ils arrêtèrent cependant lorsqu’elle fit craquer ses jointures avec un sourire mauvais.

***

« Alors », souffla Axelle, penchée sur le garde qu’elle venait de mettre à terre. « Tu disais que je ne pourrais pas vous crever le cœur ? »

La lame de son couteau brilla un instant devant les yeux du garde, qui hurla lorsqu’elle l’abattit.

« Perdu. »

Exécuter froidement les deux soldats ne la rendit pas moins malheureuse. Elle se remit à pleurer et s’agenouilla à côté de Kalia.

Les seuls témoins de l’altercation, c’était un couple qui restait pétrifié. Ils n’osaient pas crier, de peur de se faire tuer. Ils n’avaient pas encore eu l’idée d’aller courir chercher des gardes. Ils ne tarderaient pas, mais, pour le moment, Axelle était tranquille et pouvait laisser couler ses larmes en silence.

En tout cas, elle eut du silence quelques secondes, avant qu’un des hommes pendus ne lance :

« Hé, t’aurais pas une clope ? »

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