Lizzie Crowdagger

Route de nuit

Dans la vieille 205 éclairée par le clair de lune, Claire dormait, ou, en tout cas, essayait. Elle avait roulé toute la soirée pour se rendre à un mariage, s’était perdue en pleine campagne, et avait décidé de renoncer jusqu’à l’aube, jugeant qu’il serait plus facile, une fois reposée, de se repérer lorsque le soleil serait levé.

L’ennui, c’était que la voiture ne valait pas un lit. Claire se retourna afin de trouver une position moins inconfortable sur son vieux siège pourri ; sans succès. Elle retira ses chaussures et essaya de baisser le dossier, mais il était déjà au plus bas.

Trois heures du matin, elle ne dormait toujours pas. Elle se retourna une nouvelle fois, puis une autre, se redressa un peu, et hésita à reprendre le volant.

C’est alors qu’elle aperçut une silhouette devant la voiture. Quelqu’un approchait.

Claire sentit une vague de panique s’emparer d’elle, mais parvint à se calmer. Il n’y avait rien de bien anormal ; juste un type qui se baladait.

Un type qui se baladait sur une départementale, à trois heures du matin. Rien d’anormal.

Elle prit une profonde inspiration, espérant calmer les battements de son cœur. Sans grand succès. Surtout qu’elle devinait, derrière la silhouette qui était maintenant à quelques mètres de la voiture, d’autres ombres se déplaçant lentement.

Mais peut-être rêvait-elle ? Peut-être n’étaient-ce que les ombres des arbres qui attisaient son imagination ?

Il n’y avait qu’un moyen de savoir. Elle alluma les phares.

Claire poussa un cri d’horreur en découvrant ce qu’avait révélé la lumière jaune : devant elle se trouvaient une demi-douzaine de personnes, hommes et femmes, aux vêtements déchirés, aux regards de drogués, qui se dirigeaient vers la voiture d’une démarche hésitante, trébuchant régulièrement.

Des zombies.

— Oh mon Dieu, murmura Claire d’une voix faible.

Après être restée pétrifiée quelques instants, elle se décida à faire démarrer la voiture. Qui cala. Elle songea avec une ironie distante que cela faisait vraiment mauvais film d’horreur. Il lui fallut quatre essais, avant que la voiture ne se décide enfin à s’ébranler.

Les zombies (car il s’agissait bien de mort-vivants, il n’y avait pas de doutes là-dessus : il manquait même de la peau sur certains d’entre eux) étaient maintenant à quelques centimètres de la voiture.

— Merde ! hurla Claire, paniquée, en manquant de renverser un des cadavres ambulants.

Elle ne pouvait quand même pas les écraser. Et puis, elle réalisa le ridicule de la situation : ils étaient déjà morts, de toute façon. Tremblante, elle appuya sur l’accélérateur et renversa un zombie, qui roula sur le capot avant de tomber au sol.

Elle put voir un instant son regard mort la fixer, ce qui la révulsa encore plus et lui donna envie de vomir, d’être ailleurs, et surtout de se réveiller de ce cauchemar horrible.

Elle roula quelques minutes droit devant elle, en essayant de se calmer un peu. À l’intersection suivante elle aperçut, à quelques centaines de mètres, une maison éclairée. « Maison » était sans doute un peu léger pour désigner l’endroit. « Manoir » aurait été plus exacte, mais Claire préférait évacuer ce terme de son esprit. C’était juste une grande maison.

***

À son grand soulagement, Claire arriva à la grande maison sans rencontrer de nouveaux monstres.

Elle arrêta la voiture à quelques mètres de la porte, déverrouilla sa portière et se préparait à sortir lorsqu’un mauvais pressentiment la poussa à s’interrompre. Bien sûr, il y avait de la lumière, mais… qu’est-ce qui lui disait que la maison n’était pas déjà pleine de ces créatures ?

Elle décida que le mieux était de klaxonner. S’il y avait des résidents à l’intérieur, ils finiraient bien par venir voir ce qu’il se passait. Elle espérait juste que les morts-vivants, s’il y en avait, ne réagiraient pas ; ou, au moins, plus lentement.

Une minute passa et rien ne se produisit. Puis une autre minute.

Finalement, la porte s’ouvrit. Claire retint son souffle, et espéra qu’il ne s’agissait pas d’un zombie.

C’était en fait un jeune type d’une vingtaine d’années, aux cheveux longs, au visage boutonneux et à l’air pas très réveillé. Il avait un tee-shirt qui disait « I see fragged people », des lunettes et un caleçon. S’il ne donnait pas forcément, à premier abord, l’impression d’avoir une véritable vie, il n’avait en tout cas pas l’air d’être un non-mort.

Claire sortit de la voiture et se demanda un moment comment expliquer la situation.

— Vous voulez quoi ? demanda le garçon avec une voix aiguë.

— Je peux entrer ? Je me suis perdue, et dehors il y a des…

La phrase mourut dans sa bouche. Elle ne pouvait pas prononcer le terme « zombie » sans se sentir un peu ridicule. « Mort-vivant » ne sonnait pas beaucoup mieux.

— Ça roule, fit le garçon.

Il entra dans la grande maison. Claire le suivit, mal à l’aise. Elle referma la porte derrière elle, et se tourna vers le jeune homme d’un air implorant.

— Il vaudrait mieux fermer à clé, peut-être ? S’il vous plaît ?

— Si vous voulez, répondit le jeune homme en verrouillant la porte. Au fait, moi c’est Ludovic.

— Claire.

Il s’assit à côté d’une antique table en bois sur laquelle était posé un ordinateur portable, beaucoup moins antique et beaucoup moins en bois.

— Ça va vous paraître fou, fit Claire, mais dehors il y avait des…

La situation lui paraissait idiote, à présent qu’elle était au chaud, à la lumière, en face d’un type qui pianotait sur un ordinateur.

— Des quoi ? demanda Ludovic. On croirait que vous avez vu un fantôme.

— C’était des zombies, répondit Claire d’une voix faible.

— Ah, fit Ludovic, sans trésaillir.

— Je suis sérieuse ! ajouta Claire.

— Oh, je n’en doute pas, répondit le jeune homme. J’ai lu les news.

Claire fronça les sourcils.

— Les news ?

— Sur Internet, expliqua le garçon. Il paraîtrait que les morts se relèvent.

Claire essaya de digérer l’information. Ce n’était donc pas une hallucination. Ce n’était pas non plus, a priori, un phénomène localisé. Et ce stupide garçon boutonneux qui paraissait s’en moquer !

— Mon Dieu, lâcha-t-elle. Il faut faire quelque chose.

— Parlez-en à ma sœur, répliqua le garçon. C’est elle qui est accro à ce genre de trucs. Moi, tant qu’ils ne bouffent pas les ordis…

— Votre sœur ? demanda Claire. Où est-elle ?

Ludovic fit un geste vague de la main.

— Quelque part à l’étage, répondit-il. Elle va adorer cette histoire. Maintenant, excusez-moi, mais cet algorithme ne va pas s’écrire tout seul, si vous voyez ce que je veux dire.

— Mais votre vie est en danger, bon sang ! s’exclama Claire.

— On vit dans un monde dangereux, répliqua calmement Ludovic. Mais ça n’empêche pas que le code ne s’écrit pas tout seul. Moi, tant que les programmes morts ne se relèvent pas…

Claire haussa les épaules et décida qu’il valait peut-être mieux laisser ce boutonneux asocial à son ordinateur et partir à la recherche de sa sœur.

Elle se dirigea vers les escaliers, attrapant au passage un bâton de randonnée qui traînait contre le mur. Ça pouvait toujours être utile.

***

Alors que Claire montait les vieux escaliers en bois avec précaution (ce qui ne les empêchait pas de grincer abominablement), elle sentit quelque chose contre sa jambe.

Son cœur manqua quelques battements, mais lorsqu’elle baissa les yeux, elle put se rendre compte qu’il ne s’agissait que d’un chat noir qui se frottait contre elle.

Soulagée, elle se baissa pour le caresser. Juste un chat ordinaire, se dit-elle alors que son cœur se calmait. Pas de quoi paniquer.

Elle se remit à grimper les escaliers et posa le pied sur le parquet du premier étage. C’était vraiment une grande maison. Le couloir partait à gauche et à droite et elle ne savait pas trop où aller.

Quelques mètres en dessous d’elle, Ludovic pianotait toujours sur son ordinateur, sans paraître le moins du monde se soucier de sa visiteuse.

— Comment s’appelle votre sœur ? lui demanda Claire en criant.

— Lise, répondit Ludovic après un petit moment.

— Et où est-elle ?

— Je vous l’ai dit, au premier étage.

— Ça a l’air grand.

— Elle est peut-être dans la salle de bains, répondit-il finalement, comme à contrecœur. Vers la droite.

Claire se dirigea donc vers la droite, en brandissant son bâton d’un air menaçant. Ou, plus exactement, d’un air pathétique qui se voulait menaçant.

— Et peut-être pas, ajouta le jeune homme en marmonnant.

— Lise ? appela Claire. Lise ?

Pas de réponse. Tout cela lui paraissait bizarre. D’abord les zombies, puis cette maison, puis ce type…

Elle espérait au moins que Lise prendrait cette affaire au sérieux. Ça ne résoudrait pas vraiment le problème, mais au moins, elle ne s’inquiéterait plus seule.

***

Claire avançait lentement en faisant bien attention à allumer systématiquement toutes les lumières : le mieux ce serait éclairé, le mieux elle se sentirait. Elle était suivie par le chat qui se frottait régulièrement aux meubles ou à ses jambes. Lise ne répondait toujours pas.

Peut-être dormait-elle ? Mais était-ce possible, avec tout le boucan qu’elle avait fait ?

Soudainement, un cri lui glaça le sang. Elle se précipita vers la chambre d’où il semblait provenir, ouvrit la porte d’un geste brusque et resta pétrifiée.

La fenêtre de la chambre avait été brisée. Il y avait des éclats de verre dans la moitié de la pièce. Au milieu de ceux-ci, à genoux, se trouvait celle qui devait être Lise, la tête en sang, assaillie par une demi-douzaine de gros corbeaux qui paraissaient bien décidés à faire d’elle leur dîner.

Claire parvint à sortir de sa stupeur et alla agiter son bâton au milieu des oiseaux qui se dispersèrent. Elle attrapa ensuite le bras de la jeune fille et la tira vers le couloir, fermant brusquement la porte derrière elles.

— Merci, fit Lise.

Elle essuya la trace de sang qui lui coulait du front. La première chose que remarqua Claire, c’est que, contrairement à ce qu’elle avait cru en l’apercevant, la blessure était plutôt légère : le front de la jeune fille était bien un peu abîmé, mais à part ça, elle était indemne.

La seconde chose que remarqua Claire, c’est que Lise ressemblait trait pour trait à son frère. Bien sûr, elle était plus féminine, mais elle avait le même visage, les mêmes yeux verts étranges, les mêmes cheveux noirs. Un moment, elle se demanda si elle était aussi socialement inadaptée que lui.

Niveau tee-shirt, c’était le même genre : « I see fragged people » était remplacé par un plus politique « One solution, Revolution ». Claire se demanda d’ailleurs furtivement pourquoi une fille qui portait un tel tee-shirt vivait dans une gigantesque maison. En revanche, Claire nota que Lise portait un pantalon. Il y avait donc du progrès.

— Mais qui êtes-vous ? demanda Lise en levant un sourcil.

— Je me suis perdue, répondit Claire. J’allais à un mariage… je me suis endormie dans la voiture, et j’ai été attaquée par des zombies… et je suis venue me réfugier ici.

Il y eut un court moment de silence, le temps que la jeune fille digère la phrase.

— Des zombies ? dit-elle finalement. Cool.

***

Claire expliqua toute l’histoire avec moult détails à Lise, qui l’écoutait beaucoup plus sérieusement que son frère. Mais plutôt que de se mettre à avoir peur, comme elle s’y était attendue, elle paraissait surexcitée : il fallait barricader la maison, fabriquer des armes, aller au garage chercher de quoi faire des cocktails molotov.

— Du calme, répliqua Claire, qui ne l’était pas vraiment. Si on tient jusqu’au lever du soleil, je pense que tout ira bien.

— Ah, fit Lise, manifestement un peu déçue de l’avortement de la première guerre vivants/zombies.

— Il faudrait trouver un endroit où on soit en sécurité, ajouta Claire.

— Hmmm, réfléchit Lise. La cave ? On pourrait se barricader dedans.

— Mais on serait coincées.

— C’est vrai. Hmmm. On pourrait demander à mon oncle.

— Votre oncle ? s’étonna Claire. Où est-il ?

— Qu’est-ce que j’en sais ? La baraque est plutôt grande, si vous n’avez pas remarqué.

Claire soupira. Malgré la gravité de la situation, cette fille prenait tout à la légère, ce qui commençait à lui taper sur les nerfs.

— Bon, fit-elle. Il n’est apparemment pas au premier. On va voir au rez-de-chaussée.

Les deux jeunes femmes se dirigèrent donc vers le bout du couloir, Claire avançant prudemment en tête, poursuivant sa quête obsessionnelle pour allumer toutes les lumières, Lise fermant la marche, criant régulièrement « Tonton ? Tonton ! ».

Elles finirent par arriver au bout du couloir où se trouvaient d’autres escaliers, et redescendirent au rez-de-chaussée avec précaution, le chat noir toujours à côté d’elles.

Claire sentit un vent froid la parcourir alors qu’elle allumait l’interrupteur du bas. Elle se tourna, et aperçut qu’une porte menant à un jardin était ouverte.

— Merde, lâcha-t-elle.

— Oh, c’est normal, répliqua Lise, elle a toujours mal fermé.

— Mais ils ont pu rentrer ! hurla Claire, paniquée.

— Zen, répondit Lise, inébranlable. Rien ne dit qu’ils l’ont fait. Allons chercher mon oncle.

Claire inspira et souffla profondément, tentant, d’une part, d’enrayer le sentiment de panique qu’elle éprouvait et, d’autre part, de ne pas s’énerver contre Lise.

Elle la rattrapa alors qu’elle entrait dans une autre pièce, apparemment la cuisine.

— Je ne sais pas vous, fit-elle joyeusement en ouvrant le réfrigérateur, mais moi, les films d’horreur, ça me donne faim.

Comme pour les autres pièces, Claire se précipita vers l’interrupteur, et en quelques secondes les néons s’allumèrent, illuminant toute la cuisine.

Et, accessoirement, le couple de morts-vivants qui se tenaient juste derrière Lise, les bras tendus vers elle.

Claire poussa un cri d’horreur.

Lise, avec une rapidité surprenante, plongea dans le réfrigérateur, en ressortit un carton de jus de pomme dans une main et une barquette de steacks hachés dans l’autre, puis fit un petit pas en arrière juste à temps pour éviter le bras d’un zombie.

Elle tendit le carton à Claire qui l’attrapa, médusée, et elle se mit à déchirer fébrilement le plastique qui enveloppait les steacks. Elle les lança devant les morts-vivants qui, comme elle l’avait espéré, se précipitèrent dessus.

Elle sortit de la cuisine, un steack haché toujours à la main, tandis que Claire fermait la porte et la bloquait.

— Si c’est pas malheureux, gâcher de la nourriture comme ça.

— Tu t’en es gardé un ? demanda Claire, atterrée, en désignant le steack qu’elle avait à la main.

— Je me disais, plutôt que ce soit le chat qui le bouffe qu’une de ces bestioles.

Elle tendit la viande au chat, qui s’en empara en ronronnant. Claire secoua la tête, alors que ses mains tremblaient.

— Tu te rends compte qu’ils auraient pu te tuer ? demanda-t-elle. Que ce sont des putain de mort-vivants ? On n’est pas dans un film !

— Cool, répondit Lise en attrapant le carton de jus de pomme. J’aurais aussi pu me faire dévorer par un monstre à neuf dimensions, mais ce n’est pas le cas. Je suis en vie, et j’ai soif et faim.

Claire dut faire plusieurs exercices de respiration, pendant que Lise buvait bruyamment à la bouteille.

— Bon, dit finalement Lise, je pense qu’il faudrait aller dans le garage.

— Le garage ?

— Par là, expliqua Lise en montrant une porte. Ça mène au garage. Léonard y est peut-être.

— Léonard ?

— Mon oncle.

— Et tu ne pouvais pas le dire plus tôt ?

Lise se contenta de hausser les épaules.

— Je ne savais pas que son nom était si important pour vous.

— Je veux dire, qu’il était au garage !

— Je n’en suis pas certaine. Mais il travaille souvent là-bas. Ça lui sert d’atelier.

— Il travaille à quatre heures du matin ?

— Aucune idée, je n’ai pas de montre.

Lise avala quelques nouvelles gorgées de jus de pomme pendant que Claire essayait de se calmer. Lorqu’elle eut fini de boire, elle annonça :

— Bon, il faudrait aussi aller chercher mon frangin. Pour qu’on soit plus efficace, je propose qu’on se sépare.

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, répliqua Claire, horrifiée. C’est la meilleure manière d’y passer toutes les deux.

Lise commença à avancer dans le couloir, sans prendre la peine d’allumer la lumière.

— Mais non, répondit-elle. Ils font toujours ça dans les films d’horreur, et ils ont de l’expérience dans le domaine.

***

Claire dut se contenter de regarder, hallucinée, Lise s’éloigner dans le couloir sombre.

Elle n’aurait pas dû la laisser partir seule. Elle n’aurait surtout pas dû la laisser l’abandonner. Au moins, le chat était toujours là, en train de finir de manger son steack, mais Claire ne misait pas énormément sur son potentiel protecteur.

D’un autre côté, peut-être que l’oncle serait moins cinglé que son neveu et sa nièce. Peut-être qu’il ne s’agissait que d’un problème d’âge.

Claire ouvrit donc la porte menant au garage et se précipita vers l’interrupteur, le bâton prêt à la défendre. Elle commençait à être habituée à ce manège.

Elle descendit les escaliers de pierre avec précaution. Lorsque, arrivée en bas, elle actionna l’interrupteur, elle fut surprise de ce qu’elle vit.

Elle s’était attendue à voir un joyeux foutoir, avec éventuellement un « oncle Léonard » travaillant au milieu ; elle ne s’était pas attendue à voir un avion.

Ce n’était pas un avion de ligne, évidemment, juste un vieux modèle à hélice, mais cela faisait tout de même incongru. Elle s’approcha un peu, impressionnée.

— Monsieur Léonard ? appela-t-elle.

Elle eut le temps d’entendre un petit bruit derrière elle, se retourna, et se retrouva nez à nez avec le canon d’un fusil à pompe.

De l’autre côté se tenait un type à l’allure étrange : il portait une espèce de chapeau de cow-boy, un vieux blouson d’aviateur et des lunettes de soleil. Mais le pire, c’est que les traits de son visage, à l’exception d’une épaisse moustache qui descendait de part et d’autre de sa bouche, étaient les mêmes que ceux de Lise et Ludovic.

— Monsieur Léonard ? répéta Claire, un peu plus nerveuse.

— Ah, répondit-il, vous n’êtes pas un de ces foutus zombies.

Sa voix sonnait mal. Elle avait un côté viril, mais il paraissait artificiel, comme s’il se forçait. Et malgré ça, elle restait trop aiguë, comme la voix de Ludovic.

— Lise ? ne put s’empêcher de demander Claire, tellement Léonard lui rappelait la jeune femme.

— Ah, fit l’oncle en baissant son arme, vous avez vu ma nièce. Beau brin d’fille, hein ? Ravi de savoir qu’elle va bien.

Claire ne répondit pas, et espéra que Lise allait toujours bien. De toute façon, après les dernières minutes passées en présence de cette fille, elle n’était plus certaine que cette dernière serait celle à plaindre si elle venait à croiser une meute de morts-vivants.

— Vous êtes au courant, pour les zombies ? demanda Claire.

— Évidemment. L’un d’entre eux a essayé de me bouffer. Mais c’est à mon Remington qu’il a goûté !

Il éclata de rire en terminant sa phrase, alors que Claire se mordait nerveusement les lèvres. Léonard ne s’annonçait pas plus facile à vivre que sa nièce.

— D’où est-ce que vous venez ? demanda-t-il.

— J’étais perdue, répondit Claire. J’allais à un mariage, et…

— C’est ce qui s’appelle une pleine lune de miel, coupa Léonard.

Il éclata de rire une nouvelle fois. Non seulement sa blague était exécrable, mais en plus son rire sonnait faux. Claire commençait sérieusement à se demander si ce n’était pas Lise déguisée.

— Et vous êtes venue en voiture ? demanda Léonard, redevenu sérieux.

— Oui, répondit Claire. Vous n’avez pas entendu les coups de klaxon, tout à l’heure ?

— Non. Faut croire que le garage est bien isolé. Peu importe. Vous voulez mon avis ?

Claire ne répondit pas, mais son interlocuteur n’attendait pas de réponse.

— Faudrait repartir en voiture. À cinquante à l’heure, les zombies nous emmerderont pas. Je sortirais bien l’avion, mais j’crois pas qu’ils nous laisseraient le temps de décoller.

— D’accord, répondit Claire.

Elle n’objecta pas que, pour elle, il s’agissait plutôt d’un retour au point de départ. Cela dit, elle était toujours vivante, le lever de soleil était maintenant un peu plus proche et elle n’était plus seule.

C’était déjà ça.

***

Le retour vers le hall principal aurait pu se faire sans encombre si Léonard n’avait pas subitement décidé, comme sa nièce, de faire un brusque détour par la cuisine.

Il ne parut que légèrement surpris lorsqu’il se retrouva nez à nez avec les deux morts-vivants.

— Crénom de Dieu.

Il leva son Remington calibre 12. Il y eut une détonation assourdissante et des éclaboussures de sang lorsqu’il tira en plein ventre du mort-vivant le plus proche, qui vacilla sous le choc et reprit immédiatement sa marche.

Nouvelle détonation, cette fois-ci dans les jambes de la créature, qui s’écrasa par terre, mais continuait à ramper vers Léonard.

— La tête, bon sang ! hurla Claire, les larmes aux yeux et les mains sur les oreilles. Tout le monde sait qu’il faut viser la putain de tête !

— Ah ! répliqua Léonard. C’est la tradition. La tête, c’est pour les dernières balles.

Et, comme il ne lui restait plus que deux balles dans son fusil, il les utilisa pour faire exploser dans des grande gerbes de sang les têtes des deux morts-vivants, ce qui parut le satisfaire pleinement. Et fit vomir Claire.

Léonard parcourut la cuisine à grande enjambées, marchant avec ses grandes bottes dans le sang des deux cadavres qui ne se relèveraient plus, alluma le gaz au maximum et ressortit, donnant au passage une tape dans le dos de Claire pour qu’elle se reprenne.

Celle-ci s’essuya la bouche, et essaya de suivre Léonard, qui se dirigeait vers le couloir où avait disparu Lise quelques minutes plus tôt.

— Vous avez fait quoi, avec le gaz ? demanda-t-elle.

— Ah ! fit joyeusement Léonard. Tout va sauter ! Finis, ces putain de zombies !

— Et nous avec, marmonna Claire.

— Pas si on se dépêche, miss.

En effet, le retour vers le hall principal fut plus rapide que l’aller. Mais lorsque le trio (le chat, en effet, les suivait toujours, même si personne ne lui prêtait vraiment attention) débarqua dans le hall, il n’y avait trace ni de Lise, ni de Ludovic. L’ordinateur portable de ce dernier était maintenant éteint.

— Merde ! fit Claire. Et l’autre con qui a allumé le gaz à fond !

— Restez polie, miss, répondit Léonard avec une voix qui semblait toujours aussi peu naturelle. Allez donc démarrer la voiture, je me charge de mes neveux.

— Mais…, protesta faiblement Claire.

— Pas d’objections, répliqua-t-il d’une voix autoritaire. Allez-y. Maintenant.

Claire obéit, sans trop savoir pourquoi (peut-être quelque chose dans le ton de l’homme), et se précipita vers la voiture, après un bref coup d’œil pour vérifier qu’il n’y avait pas de zombies sur le chemin.

Derrière elle, un coup de vent fit claquer la porte.

***

Léonard sourit en entendant le moteur démarrer après quelques essais infructueux. Il plongea sa main dans une poche de son vieux manteau, en sortit un cigare. Puis il plongea son autre main dans une autre poche et en tira une boîte d’allumettes.

Il alluma le cigare. Rangea les allumettes. Caressa distraitement le chat qui se frottait à ses pieds.

Puis il tira une longue bouffée, avant de le jeter, d’un geste théâtral, vers le couloir.

***

Malgré la distance, l’explosion secoua la voiture. Claire eut le temps de se demander si Lise, Léonard et Ludovic avaient eu le temps de sortir de la maison. Puis elle s’écroula, inconsciente.

***

Léonard s’approcha un peu de la voiture et jeta ses lunettes de soleil sur le sol, révélant des yeux verts à l’intensité étrange.

Puis il s’assit sur un petit muret en pierres qui se trouvait juste à côté et retira sa fausse moustache, avant d’ouvrir son vieux blouson d’aviateur et de défaire la bande qui lui comprimait la poitrine.

Lise (ou quel que fût son nom) conserva néanmoins le chapeau de cow-boy. Elle trouvait qu’il lui allait bien.

Le chat sauta à son tour sur le muret et s’allongea à côté de la jeune fille.

— Alors ? demanda cette dernière. Tu en penses quoi ? J’ai mon examen ?

— Je ne sais pas trop quoi penser. D’accord, tu as atteint l’objectif, admit le chat. Mais les méthodes…

— Quoi, les méthodes ? demanda la jeune fille en souriant. Tant qu’à faire un boulot, autant le faire avec style.

— Je trouve que tu as fait ça avec beaucoup de légèreté.

— Légèreté et subtilité, c’est ma devise, répliqua la demoiselle.

— Je n’ai pas parlé de subtilité.

— Mais ça a marché, non ? J’ai pourri le cauchemar jusqu’à la moelle et, demain, quand elle se réveillera, tout ça aura disparu et elle se dira qu’elle a fait un mauvais rêve. Ce qui ne sera pas tout à fait faux, n’est-ce pas ?

— Ça a marché, admit le chat. Mais tout de même. Les méthodes…

— On ne peut plus efficaces.

— Mais pas très académiques. Tu étais censée lui faire prendre confiance en elle, lui apprendre à lutter contre l’adversité, ce genre de choses. C’est comme ça qu’on fait, d’habitude.

— Elle avait besoin d’apprendre à se contrôler, répliqua Lise. Et de se décoincer un peu. Je suis sûre que ça lui sera bénéfique, plus tard. Elle stressera moins.

— D’accord, dut admettre le chat. Tu es qualifiée pour le boulot. C’est indéniable.

— Cool, fit la jeune fille. Je suis prête pour la police onirique.

— Je t’ai déjà dit de ne pas utiliser ce terme. Ça n’a rien à voir avec la police.

— D’accord, d’accord, admit Lise. Pompier onirique, si tu préfères.

Il y eut un silence, pendant lequel le chat comme la jeune fille regardèrent le manoir qui brûlait toujours.

— Peut être pas pompier, d’accord, admit-elle. Allez viens, on va voir s’il reste des trucs à grailler dans la cuisine.

Elle observa deux morts-vivants, au loin, qui semblaient en train de manger quelque chose. Était-ce un cadavre d’humain ? Vu la distance, c’était dur à dire.

— La prochaine fois, je crois que je viendrai en zombie. Eux, au moins, ils mangent.

— Ce n’est pas un jeu, objecta le chat.

— Ouais, ben ça ne veut pas dire qu’on doit forcément crever de faim, hein ?

***

Et pendant que Ludovic-Lise-Léonard, suivie du chat, faisait le tour du manoir en flammes afin de voir s’il n’y avait pas de quoi se faire un petit repas à la bonne flambée, dans la vieille 205, éclairée par le clair de lune, Claire dormait.

Paisiblement.

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Lizzie Crowdagger écrit essentiellement de la fantasy et de la science-fiction. Ses histoires abordent des thématiques sérieuses, comme les vampires, la sorcellerie, les armes à feu et les explosions, mais parlent également de choses plus légères, comme le féminisme, l’homosexualité, la transidentité, la lutte des classes, etc.

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