Lizzie Crowdagger

Rock’n troll

Thomas décapsula sa canette de bière et fit craquer ses doigts. Il s’apprêtait à passer à l’attaque. Pas physiquement, non, puisqu’il était seul dans son appartement, situé au septième étage d’un immeuble du centre ville. Thomas s’apprêtait à passer à l’attaque depuis son canapé.

Thomas était un troll. Pas la créature mythologique à la taille imposante : si Thomas n’était pas particulièrement petit, il n’était pas non plus très grand, et n’avait guère la carrure d’une armoire à glace. Thomas se contentait de sévir sur Internet, et particulièrement sur les réseaux sociaux qu’il affectionnait beaucoup ces derniers temps. Il était spécialisé dans l’attaque contre les féministes et les minorités déviantes, qu’il se faisait plaisir à insulter et à harceler. Il trouvait ensuite jubilatoire de voir les réactions outrées de ces salopes hystériques lorsqu’il se moquait d’elles.

Ce soir, il avait décidé de passer un cran au-dessus. Il avait repéré le site d’une de ces connasses, fouillé de fond en comble pour y trouver tout ce qu’il pouvait, et réussi à dégotter quelques informations compromettantes dont il savait pertinemment qu’elles feraient mal à Femigrrrl. Par exemple, révéler qu’elle s’appelait en réalité Sylvie Lefèvre, ou encore son adresse. Voilà qui la ferait flipper.

Lorsqu’il posta les informations qu’il avait réussies, par ses compétences techniques, à se procurer, la réaction de l’intéressée ne se fit pas attendre.

Tu sais quoi, trouduc ? Ce genre de choses pourrait te coûter cher.

Thomas eut un grand sourire devant la menace. Comme si elle allait porter plainte, c’était tellement crédible. Et évidemment, vu que lui faisait attention à ne poster que sous pseudonyme et à ne rien révéler de sa vraie vie, il ne craignait pas grand chose.

Thomas prit le temps d’avaler une gorgée de bière en réfléchissant à une réplique cinglante.

Tu me fais trop peur, Sylvie. Je me fais pipi dessus. Tu vas appeler ton petit copain Pierre ?

Thomas avait en effet réussi, en cherchant bien, à trouver des mails privés qui n’auraient jamais dû se trouver sur un serveur public. Quelle couillonne, cette fille. Elle l’avait cherché aussi. Ça lui apprendrait peut-être à se servir d’Internet.

Il y eut rapidement un réponse de Femigrrrl.

Tu devrais arrêter tes conneries MAINTENANT et présenter des excuses. Ou alors tu auras des soucis. Dernier avertissement.

Thomas se mit à rire, seul devant son ordinateur. Elle s’imaginait vraiment lui faire peur ?

Oh, je suis mort de trouille. LOL.

Il sirota ensuite une autre gorgée de bière, attendant la réponse de l’hystérique débile.

Déguste bien ta Heineken et réfléchis à ce que je dis. DERNIÈRE CHANCE.

Thomas faillit recracher sa gorgée et regarda sa canette, qui était effectivement une Heineken. Comment est-ce qu’elle savait ? Par hasard, peut-être ? Des tas de gens buvaient de la Heineken, non ?

Oh, tu as failli en foutre partout. Ça aurait été dommage de tacher ton beau canapé en cuir.

Thomas soupira. La webcam. Cette connasse avait dû pirater son ordinateur. Il devait admettre qu’il l’avait sous-estimée. Cela dit, ça ne l’inquiétait pas plus que ça. Au pire, elle allait lui faire quoi, lui effacer ses fichiers ? La belle affaire, il avait des sauvegardes sur son autre ordinateur. Il commença par cacher la caméra avec son doigt, puis tapa maladroitement de l’autre main :

OMG une script-kiddie. Tu sais te servir d'un programme de P1RATE, LOL. J'ai trop peur.

Il regardait les étagères devant lui à la recherche d’un rouleau de scotch. Il n’allait pas pouvoir rester éternellement le doigt sur sa caméra.

Derrière lui, il entendit deux vibrations et se retourna, surpris. Il fit un bond en arrière lorsqu’il aperçut la femme qui était en train de consulter son portable.

Elle était plutôt grande, mais pour le reste, c’était dur de voir à quoi elle ressemblait, car elle avait une cagoule violette sur la tête. Elle portait également une combinaison noire avec des lignes violettes, des docs violettes, et une cape violette et noire.

Elle tenait un téléphone d’une main, et une batte de base-ball de l’autre, qui reposait sur son épaule.

« Je ne suis pas une script-kiddie, répondit-elle, amusée. Je suis Captain Feminist. »

Thomas resta un moment bouche bée, la peur se mêlant à l’incompréhension.

« Quoi ? finit-il par réussir à dire.

— Le nom n’est pas forcément définitif », admit Captain Feminist.

Elle lui envoya alors un coup de batte en plein dans la jambe, sans qu’il n’ait pu s’y attendre. Tout au plus avait-il eu le temps de la décaler légèrement, sauvant temporairement son genou.

« Par contre, reprit la super-héroïne, je pense vraiment que je vais garder la batte. »