Coucou et bonne année 2025 !
Je ferai bientôt un bilan de l’année 2024 d’un point de vue écriture et auto-édition, mais je voulais d’abord parler un peu d’un projet secondaire qui m’a aussi un peu occupé, l’instance Mastodon Corneill.es.
C’est quoi ?
Corneill.es est une instance de Mastodon qui permet à ses utilisateurices de micro-blogger en toute indépendance des grandes plate-formes en participant de manière fédérée et décentralisée au réseau du Fedivers en général et de Mastodon en particulier, ce qui permet ainsi de suivre ou d’être suivi·e par des centaines de milliers de personnes sur d’autres serveurs.
C’est une alternative libre à des réseaux comme Twitter ou encore Threads, et, si vous ne connaissez pas, je vous invite à jeter un coup d’œil et à vous créer un compte soit sur l’instance Corneill.es soit sur Mastodon en général.
J’ai lancé cette instance en fin d’année 2022, ce qui fait qu’elle en est maintenant à un peu plus de deux ans d’existence. Au départ c’était un projet littéraire que j’ai évidemment abandonné, mais c’est devenu une instance «classique» qui est maintenant un petit coin de réseau social libre et indépendant pour une cinquantaine de personnes plus ou moins régulières.
Au cours des derniers mois j’ai essayé d’articuler un peu les «particularités» et les approches de cet espace, en raffinant la page À propos — même si la description courte « instance Mastodon francophone queer-centrée à tendance gauchiste qui essaie d’être un endroit sympa » n’a pas changé depuis un moment — et en détaillant l’approche de modération dans un post.
Le financement
Une question cruciale quand on parle de services en ligne, surtout les plus importants, c’est celle du financement : combien d’endroits qui étaient des endroits plutôt sympas sont devenus merdiques quand les fonds d’investissement qui avaient mis des millions et des milliards commençaient à réclamer des bénéfices ?
On n’est évidemment pas dans ce cas, mais la question de la pérennité d’espaces tenus à bouts de bras par une personne ou un petit groupe qui met de ses deniers personnels se pose aussi.
Concrètement, la parte concrète et très technique de l’hébergement est gérée par le collectif Fedi.monster qui est derrière un certain nombre d’autres instances du Fediverse. Il est possible de les soutenir via leur page Open Collective, qui a été créée cette année, il y avait un fonctionnement un peu différent avant.
Ce qui explique que j’ai aussi une page Liberapay qui sert principalement à récupérer de l’argent pour Corneill.es, et je donne de mon côté une vingtaine d’euros par mois à Fedi.monster, ce qui était le tarif fixe qui était le cas avant.
Au final de mon côté les dons me permettent de couvrir à peu près cette somme, ce qui ne me semblait pas forcément couru d’avance, donc c’est plutôt cool de voir que des mécaniques de prix libres peuvent en partie financer un Internet indépendant… même si ça tourne aussi beaucoup avec de l’investissement en temps bénévole ou quasi-bénévole.
La modération
Si je voulais faire ce bilan, c’était aussi pour parler de la partie modération pour partager un peu ce que j’ai appris dans ces deux années d’expérience en modération sur Mastodon, en temps qu’admin et seule modératrice sur Corneill.es et comme membre de l’équipe de modération sur Eldritch.cafe.
Le côté décentralisé fait qu’il y a deux aspects assez différents suivant qu’il s’agisse de modérer du contenu d’utilisateurices sur notre serveur, ou alors de gens sur d’autres serveurs.
Le premier cas est à la fois le plus important, puisque c’est ce dont on peut‑être pénalement responsable dans certains cas mais aussi et surtout parce que j’estime l’être moralement : je n’ai pas envie de donner de plate-forme à des nazis, ou un outil marketing à des spammeurs, etc.
C’est aussi celui qui demande en réalité le moins de boulot, avec une astuce très simple : valider les inscriptions à la main, ce qui permet de ne pas valider les comptes robots. C’est certes un peu plus pénible pour quelqu’un qui veut se créer un compte rapidement, mais il y a aussi un système d’invitations qui permet aux gens qui ont déjà un compte sur l’instance d’inviter leurs ami·e·s sans avoir à passer par cette étape. Mais ce ne serait clairement pas une bonne idée pour un site qui vise à avoir le maximum d’utilisateurices pour maximiser le chiffre d’affaires, ce qui explique peut-être en partie pourquoi la modération sur tant de plate-formes est merdique.
Un autre aspect de la modération qui est sans doute un peu spécifique à Mastodon et au Fedivers, de par l’aspect décentralisé, consiste à protéger les personnes qui sont sur notre serveur du contenu indésirable présent sur d’autres serveurs. Ça demande en pratique plus de travail, et ça consiste essentiellement à bloquer des petits (ou, parfois, gros) serveurs d’extrême-droite, ravagés par le spam, ou qui hébergent occasionnellement du contenu vraiment craignos.
En particulier, un truc auquel je n’ai été réellement confrontée qu’une fois ou deux mais pour lequel je n’étais absolument pas préparée, c’est le contenu pédocriminel. Je n’ai malheureusement pas grand chose à dire sur le sujet parce que ça reste un domaine sur lequel je ne suis pas du tout assez formée.
Cela dit, même si ça fait partie des expériences fort désagréables, ça reste très marginal et ça ne fait pas partie de ce qui demande vraiment du temps à consacrer à la modération.
Étrangement ce qui est le plus compliqué à gérer c’est toutes les choses beaucoup moins graves, parce que la réponse n’est pas évidente : est-ce qu’il faut agir contre quelqu’un qui est juste un peu relou ? Contre quelque chose avec lequel on n’est pas en désaccord sur le fond mais où la forme est trop agressive ? Est-ce qu’il vaut mieux agir vite, ou est-ce qu’au contraire c’est prendre le risque de « surmodérer », bref d’en faire trop ?
Pour toutes ces questions il n’y a pas forcément de bonne ou de mauvaise réponse évidente, mais ça demande aussi de réfléchir à ce qu’on veut faire de l’espace, et il y a eu sans doute (et il y aura encore) pas mal de tâtonnements pour élaborer quelque chose de cohérent qui correspond à Corneill.es et qui n’est pas forcément identique à celles d’autres instances du Fedivers, même proches, et ça se construit aussi collectivement, avec des discussions et des pratiques qui émergent.
Edit : Un truc que j’avais oublié de mettre dans mon bilan sur la modération d’une instance Mastodon, c’est qu’en fait la modération elle fonctionne certes grâce aux modérateurices, mais aussi et surtout grâce aux signalements des utilisateurices, donc merci aux personnes qui prennent le temps de rédiger ces signalement !
Construire des ilots (voire un archipel) d’indépendance
À l’heure où la réélection du fasciste Donald Trump s’est faite avec le soutien de Musk, propriétaire de Twitter, et où Zuckerberg (Facebook, Instagram, Threads et Whatsapp) se rallie à la croisade anti-woke, il est crucial de faire vivre des espaces indépendants, sur Internet comme en dehors. Corneill.es est ma petite tentative de participer à cet effort, et je vous invite évidemment à rejoindre cet espace si vous en avez envie, mais aussi de manière plus générale à faire vivre le web indépendant, en rejoignant Mastodon ou le Fédivers plutôt que Twitter, en créant un site web pour votre assoce plutôt (ou, au moins, en plus de) qu’une page Facebook ou Instagram, en créant et en soutenant des médias indépendants, infokiosques, etc.
Il ne s’agit pas juste comme je l’entends parfois de « consommer autrement », mais bien de construire ensemble, parfois de façon bordélique et désordonnée, parfois pour un résultat moins joli qu’une solution Business Corporate© et parfois en s’engueulant aussi entre nous, mais avec la satisfaction que ça nous appartient à nous collectivement et pas à Business Corporation™.
@crowdagger merci pour ce retour fort instructif