Déviances vikings est une novella de fantasy avec de l’action, des sentiments et des cornes de brume. Vous pouvez dès maintenant lire le texte intégral en version numérique à prix libre ou commander le livre papier pour 7€ ici. Les huit chapitres composant ce récit seront également publiés progressivement en accès libre. Voici le second.
- Déviances vikings, chapitre 4
- Déviances vikings, chapitre 3
- Déviances vikings, chapitre 2
- Déviances vikings, chapitre 1
Chapitre 2
Ils trottinèrent jusqu’à Kirkjubær. Heureusement, au retour, il s’agissait essentiellement de descente, et Siv n’avait pas de mal à suivre Gunnbjörn, d’autant plus que celui-ci portait le sanglier sur ses épaules. Il avait hésité à abandonner l’animal aux rapaces, mais ce n’était pas quelques non-vivants qui allaient l’empêcher d’avoir de la viande à se mettre sous la dent.
Lorsqu’ils approchèrent du village, ils s’arrêtèrent quelques instants devant la ferme de Gunnbjörn, qui se trouvait sur leur chemin, à la périphérie de Kirkjubær.Le guerrier lâcha son sanglier, et jeta un regard à Siv.
— Tu sais ce que tu dois faire ?
— Sire ! s’exclama simplement celle-ci, dans une parodie de salut militaire.
— Bien. On se retrouve aux écuries. Fenrir, reste ici.
Tandis que Siv tenait le chien pour qu’il ne le suive pas, Gunnbjörn se remit en route vers le centre du village, alpaguant les quelques personnes qu’il croisait.
— Alerte ! se bornait-il à répéter.
Il fut bientôt aidé par le son d’une corne de brume qui relaya sa parole de manière plus efficace. Lorsqu’il arriva devant la demeure du jarl, il y avait déjà une petite foule qui était réunie. Parfait. Cela permettrait de gagner du temps.
Gunnbjörn baissa la tête et s’adressa à Harald, le jarl, qui se trouvait au centre de l’assemblée. L’homme avait soixante-dix ans, mais restait robuste. Il avait des cheveux courts et blancs et un visage dur et couturé de cicatrices que venait nuancer un regard malicieux.
— Siv a vu des marcheurs du haut de la montagne, expliqua le guerrier.
Il jugea bon de mettre en avant le rôle de sa servante. Celle-ci restait mal acceptée dans le village, aussi souligner son importance dans sa défense ne pouvait pas faire de mal.
— Ils viennent vers nous ? demanda Harald.
— Dur à dire. Je crains surtout pour le village d’Apal.
Harald approuva d’un petit hochement de tête.
— Prends quelques chevaucheurs, et allez les intercepter. S’ils sont trop nombreux, tâchez de les attirer par ici. Le reste des hommes s’occupera d’eux.
C’était la solution qui semblait évidente à Gunnbjörn. Il était soulagé que ce soit aussi celle retenue par le jarl, et de ne pas avoir à argumenter face à celui-ci. Il se contenta de baisser la tête, puis leva un poing et hurla :
— Chevaucheurs, avec moi !
Il se dirigea ensuite vers les écuries, suivi par une poignée d’hommes. Akim, qui était parmi eux, s’en détacha et vint trottiner pour se placer à côté de lui.
— J’en déduis que la partie de chasse ne s’est pas déroulée comme prévu ? demanda le jeune homme.
— Siv a réussi à tuer un sanglier.
— Tu espères toujours en faire une guerrière, hein ?
Gunnbjörn ne répondit pas. Il n’était pas d’humeur à discuter des projets qu’il avait pour son apprentie.
— Vois les choses en face, reprit Akim. Ce n’est pas là qu’elle brille.
— Ça ne lui fera pas de mal de savoir se défendre, répliqua sèchement le guerrier.
Akim ne répondit pas.
— Je vais chercher mes armes, dit-il plutôt. Je te retrouve aux écuries.
Gunnbjörn lui fit un petit signe de tête tandis qu’il s’éloignait. À vrai dire, il aurait préféré qu’Akim reste en retrait, mais le jeune homme avait maintenant son destrier et brulait de l’étrenner au combat. Lui-même avait été jeune et pouvait le comprendre ; et peut-être qu’il aurait bien besoin d’un combattant en plus. Mais il craignait que le jeune homme ne soit blessé, ou pire. Il faudrait peut-être qu’il admette qu’il ne pouvait pas protéger tout le monde.
Il entra dans les écuries, suivi de trois autres guerriers. Ils n’étaient pas très nombreux, mais d’autres allaient peut-être encore les rejoindre, et dans tous les cas il faudrait bien que cela suffise. Au pire, ils se contenteraient de détourner la horde de marcheurs du village d’Apal.
Siv était déjà près de son destrier, et avait apporté ses armes et armures. Gunnbjörn retira sa veste et enfila à la place sa cuirasse noire. Celle-ci était faite en tissu d’Asgard, à la fois plus légère et plus résistante qu’une cotte de mailles ou une armure en métal. Comme Harald restait au village, du groupe, il serait le seul à bénéficier d’une telle protection.
Il enfila ensuite son casque, noir lui aussi, orné de deux petites cornes tournées vers l’avant, et munie d’une visière transparente qu’il ne rabaissa pas tout de suite. Pendant ce temps, Siv fixait son long marteau d’armes à son destrier.
Gunnbjörn prit quelques instants pour inspecter sa monture. Celle-ci était imposante : entièrement noire, ses deux roues étaient énormes ; sa selle était plutôt basse, mais les deux branches du guidon étaient suffisamment longues pour que cela ne soit pas inconfortable, bien au contraire. Il remarqua que Siv avait changé la poignée gauche, qui avait pris un coup de lame lors de la dernière bataille.
Pendant ce temps, il entendit dans son dos Freydis entrer. Plus exactement, il l’entendit lorsque la guerrière s’exclama d’une voix forte :
— Qu’est-ce qu’on a aujourd’hui ? Encore des non-vivants à décapiter ?
Gunnbjörn se retourna et fit un petit signe de tête à la grande femme blonde. Il était soulagé de la voir : si elle était un peu plus jeune que lui, elle était plus expérimentée que les autres chevaucheurs et aurait eu le grade de lieutenant s’ils avaient été du genre à s’encombrer de grades.
— Hé, la vipère ! lança-t-elle à Siv. Pousse-toi de là, et ne t’avise pas de poser tes sales pattes sur mon destrier.
— Puis-je faire remarquer à votre seigneurie que les vipères n’ont pas de pattes ? demanda la servante avec un regard étonnamment défiant.
Loin de s’écarter, Siv s’était au contraire placée au milieu de sa route, et Freydis dut la bousculer pour accéder à sa machine. Gunnbjörn regarda la scène, interloqué. Si un certain nombre d’habitants du village s’étaient, depuis le début, montrés peu sympathiques envers Siv, depuis quelque temps, l’hostilité de Freydis devenait un problème. Plus étonnant, sa servante, qui faisait d’habitude le dos rond, avait commencé à lui répondre. Était-ce parce que Freydis était une femme, et qu’elle pensait qu’elle serait moins dangereuse ? Dans tous les cas, il faudrait peut-être qu’il calme la situation avant qu’elle ne s’envenime trop.
— Un de ces quatre, reprit Freydis, tu sais ce que je vais faire avec ta langue fourchue ?
— C’est vraiment le moment ? intervint Gunnbjörn.
Freydis fit tourner sa hache de combat à deux têtes avec un sourire carnassier.
— C’est une mise en jambes avant de passer aux choses sérieuses.
Elle s’attela ensuite à fixer son arme sur son destrier, et Gunnbjörn décida qu’il valait mieux laisser les choses là pour l’instant. Il se tourna vers Siv, qui était aussi retournée vérifier sa machine à lui. Il ne comprenait pas pourquoi la jeune femme cherchait à examiner ces mécanismes avec autant de précision, mais ça l’arrangeait bien de ne pas avoir à comprendre ni à tripatouiller tout ça lui-même, alors il la laissait faire.
— Quelque chose que je dois savoir ? lui demanda-t-il.
— Non, sire. Mais faites attention, je vous en conjure.
— Je fais toujours attention, répliqua-t-il avec un petit sourire satisfait.
Siv leva les yeux au ciel.
— Non, sire. Suite à votre dernière sortie, j’ai dû supplier le maitre forgeron de me fabriquer le matériel nécessaire à vos réparations.
Gunnbjörn entendit un éclat de rire derrière lui, et se retourna vers Akim, qui les rejoignait enfin, accompagné de quelques retardataires. Au moins, comme ceux-ci, il avait déjà enfilé son armure.
— Je parlerai à mon père. Il n’a sans doute pas idée de l’importance de ton travail.
Siv s’inclina respectueusement.
— Sire Akim.
Celui-ci répondit en s’inclinant de la même façon, un petit sourire aux lèvres.
— Miresse des destriers.
Siv rougit et fit un pas en arrière. Gunnbjörn ne put retenir un sourire, mais il était temps de passer aux choses sérieuses.
— Bien, tout le monde est prêt ?
Des cris enthousiastes lui répondirent. Il prit cela pour un oui, et monta sur son destrier. Il plaça sa main sur la poignée droite, et l’engin s’anima, émettant un vrombissement sourd.
Gunnbjörn jeta un coup d’œil aux alentours. Ils étaient maintenant une petite dizaine de chevaucheurs. Si les marcheurs n’étaient pas trop nombreux, cela devrait suffire.
— En avant ! s’écria-t-il avant de démarrer.
***
Siv regarda les fiers chevaucheurs partir, puis rangea un peu le matériel qui trainait. Dans les écuries, en dehors d’elle, il ne restait qu’Oddfred. Comme elle, il avait parfois la tâche de s’occuper des destriers. Et, comme souvent, il la regardait d’un air mauvais, peut-être parce qu’elle lui faisait concurrence.
— Pourquoi est-ce qu’il t’aime autant, hein ? demanda le jeune homme.
— Je ne sais pas, répondit Siv avec un haussement d’épaules.
— Est-ce que ça l’amuse, de trainer avec un monstre ? Est-ce que ça ne lui fait pas mal de te voir souiller son destrier ?
Siv s’imagina un instant en train d’attraper une de ces grosses clés qui lui servaient à démonter les roues des puissants engins asgardiens, mais elle prit sur elle pour garder un visage impassible.
— Je ne peux pas répondre au nom de mon seigneur. Vous devriez peut-être lui demander.
Bien sur, elle connaissait en partie la réponse. Si elle ne savait pas exactement — malgré quelques soupçons — pourquoi Gunnbjörn avait fait d’elle sa petite protégée, elle savait très bien pourquoi il la laissait s’occuper de son destrier. C’était, essentiellement, parce qu’elle le faisait bien, contrairement à cet idiot d’Oddfred incapable de comprendre à quoi servait la moitié des outils asgardiens.
Mais Siv ne pouvait pas répondre cela, aussi se contenta-t-elle de prendre congé en disant qu’elle devait retourner à la ferme s’occuper du sanglier.
Elle fit le chemin en portant la veste en cuir de son maitre et, lorsqu’elle entra dans la bâtisse de la famille de Gunnbjörn, elle eut la surprise de voir que le père de celui-ci avait déjà commencé à dépecer l’animal, assis par terre.
Gunnvald ressemblait assez à son fils, en plus âgé évidemment. Il avait de longs cheveux blancs et portait toujours la veste du clan même s’il n’avait plus combattu depuis des années. S’il ne lui avait pas manqué la jambe droite, Siv ne doutait pas que Gunnvald serait parti affronter les marcheurs avec son fils.
— Vous ne voulez pas que je m’en occupe, sire ? demanda la jeune femme.
Le vieil homme secoua la tête et tapota à côté de lui pour l’inviter à s’assoir.
— Ça me fait une occupation. Viens plutôt me raconter ce que c’était que tout ce tintouin.
Siv obéit, et lui parla des marcheurs qu’ils avaient vus dans la montagne.
— Hum, fit Gunnvald, l’air songeur.
— Je suis certaine que votre fils… commença Siv, mais elle fut interrompue.
— Oh, je ne m’en fais pas pour lui. Mais en cette saison, ils sont censés se tenir tranquilles, non ?
Siv ne répondit pas. Elle n’était pas au courant qu’il y avait une saisonnalité dans l’apparition des marcheurs.
— Il y a une assemblée du thing qui commence demain, reprit Gunnvald. Je ne doute pas qu’on décidera d’une nouvelle expédition qui mobilisera nos meilleurs hommes.
Siv hocha la tête. Avec la plupart des guerriers partis, cette incursion de marcheurs aurait pu prendre une tournure bien plus sinistre.
— Je n’avais pas pensé à ça, sire, admit-elle.
— Ce n’est pas ton rôle.
— Désolée, sire.
Lorsque Gunnbjörn l’avait recueillie, son père n’avait pas bien pris la chose. Siv n’avait pas eu tous les détails de la conversation, mais certains mots qu’elle avait pu entendre ainsi que le volume avec lequel ils avaient été prononcés indiquaient qu’elle avait été houleuse.
Depuis, les choses s’étaient aplanis, et Gunnvald se contentait en général d’ignorer la jeune femme. Ce n’était cependant pas le cas aujourd’hui, et elle ne savait pas sur quel pied danser avec lui.
— Arrête de t’excuser. Je voulais juste dire que j’espère que nos seigneurs, eux, penseront à ce genre de détails avant de vider les villages de tous ceux qui peuvent se battre.
Siv ne savait pas quoi répondre, ni quoi faire de ses mains, tandis que celles de Gunnvald s’agitaient pour découper des morceaux de chair du sanglier.
À côté d’elle, Gunnvald prit son inspiration, comme s’il allait dire quelque chose d’important. Siv se raidit, pleine d’appréhension, et le temps sembla se figer. Puis le vieil homme secoua la tête.
— Ah, fit-il. Termine donc de dépecer ce sanglier. Je ferais mieux d’aller parler à Harald.
Si le vieil homme avait pris son courage à deux mains pour dire ce qu’il avait sur le cœur, peut-être que les évènements se seraient ensuite déroulés différemment. Au lieu de cela, Siv le regarda se relever sans l’aider — elle savait qu’il était trop fier pour cela — et partir sur ses béquilles.
***
Lorsqu’il vit le groupe de marcheurs, Gunnbjörn arrêta son destrier et leva le poing pour indiquer à ses chevaucheurs de l’imiter.
Les non-vivants étaient moins nombreux qu’il l’avait craint, mais plus qu’il l’avait espéré. Ils semblaient effectivement avoir pris la direction d’Apal, mais il faudrait encore un peu de temps avant que celui-ci ne soit menacé.
Il fit signe à Freydis de se placer à côté de lui.
— Qu’est-ce que tu en penses ? demanda-t-il.
Freydis releva la visière de son casque rouge pour mieux examiner la situation, dévoilant son visage orné d’une vilaine cicatrice au niveau du nez.
— Je ne sais pas. Ils seraient plus nombreux, je serais d’avis qu’on se contente d’attirer l’attention pour les détourner du village. Ils seraient moins nombreux, je pense qu’on devrait charger et s’occuper d’eux. Là ? Je suppose qu’on a le choix.
— Ouais, admit Gunnbjörn.
Il tenta de peser le pour et le contre. Charger, c’était s’exposer à ce que des hommes soient blessés, ou pire. C’était aussi la démarche la plus glorieuse et la plus héroïque. D’ordinaire, il avait passé l’âge de prendre en compte ce genre d’arguments, mais, à la veille d’un thing, il n’était pas à écarter. Si ses guerriers rentraient frustrés et moqués par les autres clans, ce ne serait pas de bon augure.
— Je pense qu’il faut qu’on tente une charge, hein ? soupira-t-il.
À son côté, Freydis ne répondit pas, et se contenta de rabaisser sa visière.
— Les gars ! cria Gunnbjörn. On va charger !
Des cris d’excitation lui répondirent.
— Restez groupés et faites attention ! ajouta-t-il.
Il n’y eut pas le même enthousiasme. Il poussa un soupir, et lança son destrier.
L’assaut contre un groupe de marcheurs n’avait pas grand-chose à voir avec les engagements militaires habituels. Pour commencer, la plupart du temps, ils n’étaient pas armés. Comme leur nom l’indiquait, ils se contentaient essentiellement de marcher. Oh, et ils mangeaient les gens, aussi. Peut-être que « dévoreur » aurait été un terme plus approprié.
Si, de loin, leur apparence pouvait sembler humaine, leur comportement s’en différenciait largement. Ils ne connaissaient pas la peur, le froid, la fatigue, la pitié ou le remords. Et ils ne s’arrêtaient pas avant d’être éliminés.
La meilleure façon de le faire était de s’en prendre à la tête. Il avait vu des marcheurs continuer à ramper vers leur proie après avoir perdu leurs deux jambes.
Ils se déplaçaient habituellement en grands groupes, qui pouvaient regrouper des centaines voire des milliers de membres. Individuellement, ils n’étaient pas très menaçants, du moins pour des combattants un peu aguerris ; mais la masse pouvait vite constituer un problème.
La stratégie habituelle dans ce genre de circonstances était non pas de lancer leurs destriers vers le groupe en espérant les mettre en fuite, mais de tourner sur les côtés en causant un maximum de dégâts tout en évitant de se retrouver débordés.
Lorsqu’ils approchèrent de la meute, Gunnbjörn fit signe à Freydis de prendre la tête du petit groupe et laissa le reste de ses hommes passer devant lui. La plupart du temps, les meneurs préféraient, comme leur nom l’indiquait, être devant leurs hommes et pas en queue de cortège, mais il trouvait plus facile d’avoir une vision d’ensemble dans cette position. Il faisait toute confiance à Freydis pour diriger le groupe de façon adéquate et l’éviter de se retrouver encerclé, et il préférait s’assurer qu’aucun de ses hommes ne se retrouve désarçonné. Par ailleurs, il disposait d’une corne de brume fixée sur son destrier qui lui permettait de signaler qu’il fallait accélérer, ralentir, ou tout simplement de sonner la retraite. À l’avant, avoir une vision d’ensemble de la situation était à peu près impossible.
Comme il l’escomptait, Freydis engagea le groupe à proximité de la meute, sans forcément chercher à porter des coups elle-même. Ce n’était pas son rôle, et une bonne ouvreuse devait rester prudente et assurer la sécurité du reste des troupes plus que chercher les exploits. Derrière elle, les chevaucheurs commencèrent à décimer la horde de marcheurs. Certains destriers étaient montés par deux hommes, le chevaucheur et un guerrier qui avait ainsi plus de liberté de mouvement pour frapper à sa guise. En général, il s’agissait de jeunes hommes qui espéraient être choisis par les dieux pour devenir chevaucheurs à leur tour.
Gunnbjörn empoigna son marteau d’armes de sa main gauche mais ne cherchait pas spécialement à donner de grands coups. Avec la vitesse de son destrier, l’arme ferait suffisamment de dégâts sans qu’il n’ait besoin de trop se fatiguer, et il préférait garder sa concentration sur ce qu’il se passait devant lui. Pour l’instant, tout allait bien, les hommes gardaient la bonne distance avec la meute pour pouvoir l’attaquer sans trop risquer d’être désarçonnés. Devant, Freydis s’assurait que le chemin que le groupe suivait était praticable et évitait des passages trop boueux ou en montée.
Gunnbjörn se sentit un peu rassuré. S’ils arrivaient à garder la même discipline, ils pourraient réduire à néant la meute de marcheurs sans subir de pertes. Malheureusement, la discipline n’était pas forcément la plus grande qualité des hommes du Nord, et il craignait toujours un élan d’héroïsme inconsidéré.
À bien y réfléchir, il n’y avait pourtant rien de bien héroïque ni de glorieux à leur sinistre tâche. Il s’agissait essentiellement d’éliminer des créatures déjà à moitié décomposées et vêtues de haillons. Si leur apparence était plus ou moins humaine, en dehors de leurs yeux rouges, leur comportement était très différent. Des vivants auraient fui ou se seraient rendus, mais la meute continuait à essayer de se battre, si l’on considérait que « se battre » était le mot approprié.
Freydis fit tonner sa corne de brume pour indiquer au groupe qu’il fallait contourner une portion plus boueuse et rocailleuse que le reste. Sans doute que leurs destriers auraient pu traverser cet obstacle sans encombre, mais elle préférait minimiser le risque de chute. C’était pour cela que Gunnbjörn appréciait autant lui confier la tête de l’escouade.
Pendant quelques instants, leur détour les mit à l’écart de la meute de marcheurs, et il en profita pour faire quelques mouvements afin de se dégourdir la main droite, puis, très vite, ils revinrent au contact des créatures. Tandis que son marteau fracassait le crâne d’un marcheur, puis d’un autre, il réalisa que les non-vivants étaient plus proches de lui. Freydis avait gardé la même distance qu’avant, mais, derrière elle, les hommes, peut-être avides de sang ou d’en finir, avaient avancé leurs destriers au contact.
Cela permettait de gagner du temps, il n’y avait pas à dire : les marcheurs tombaient beaucoup plus vite. La contrepartie, c’était évidemment que les risques étaient multipliés, et Gunnbjörn dut donner un coup de botte à une des créatures qui s’était agrippée à son destrier.
Ce n’était pas ce qui était prévu, aussi le guerrier s’empressa d’actionner sa corne de brume. Il était hors de question de laisser ses hommes se mettre en danger pour une mission de routine.
Malheureusement, il était déjà trop tard : devant lui, un marcheur s’était jeté sous les roues des destriers, et un chevaucheur avait chuté en tentant de l’éviter. Akim, lui, avait percuté la créature de plein fouet. Cela avait été radical pour l’éliminer, mais il s’en retrouvait déséquilibré. Il tenta un moment de reprendre le contrôle de son destrier, qui vira à gauche, puis à droite, avant de glisser sur le côté.
— Merde, jura Gunnbjörn.
C’était le pire qui pouvait arriver : des chutes en queue de groupe. Si cela avait eu lieu à l’avant, les autres auraient pu se regrouper autour et protéger les accidentés, mais il n’y avait que Gunnbjörn qui avait vu la chose.
Tout en freinant, il actionna une nouvelle fois sa corne de brume. Il n’avait pas réagi assez vite pour s’arrêter avant d’avoir dépassé le premier à avoir chuté — était-ce Lotar ? — mais tenta de s’intercaler entre Akim et les marcheurs qui fondaient sur lui. Rester immobile, dans ces circonstances, c’était la mort assuré. Or, le jeune chevaucheur gisait sous sa monture, coincé par celle-ci et incapable de la relever. Gunnbjörn fit virevolter son marteau en passant lentement à droite de l’accidenté, repoussant les assaillants autant qu’il le pouvait. Malheureusement, ils étaient trop nombreux, et, comme attirés par la perspective d’un festin, ils semblaient avoir un regain d’énergie.
Il était hors de question de rester immobile. Gunnbjörn posa le pied gauche à terre, fit tourner la poignée de l’accélérateur, et lança son destrier dans un cercle fou autour du blessé, espérant que cela suffirait à repousser les marcheurs.
Il ne se faisait pas d’illusion. Ses ennemis étaient beaucoup trop nombreux, et il ne pourrait pas tenir bien longtemps.
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