« Chapitre 3

Chapitre 4

Armand déposa avec révérence l’épée de Lumina sur le bureau de la reine, en la tenant par le fourreau.

Ly était vautrée derrière lui. Elle avait commencé par s’asseoir sur une des chaises sans demander l’autorisation. Cela avait légèrement dérangé Lucie de Guymor, mais elle avait préféré ne rien dire : après tout, elle et Armand revenaient d’une mission capitale et elle pouvait pardonner un tel écart. Seulement, la jeune femme ne s’était pas contentée de s’asseoir. Elle s’était ensuite balancée avec la chaise, puis avait fini par poser ses deux pieds, avec ses bottes sales, sur un coin du bureau de la reine. Cette dernière lui lança un regard lourd de signification, mais Ly ne parut pas s’en rendre compte.

La reine abandonna et tourna la tête pour regarder l’épée.

« Bien », fit-elle en se tournant vers son conseiller. « C’est celle que vous cherchiez ?

— On va voir », répondit Gérald en tendant la main vers la poignée de l’épée.

Il poussa un petit cri de douleur et recula sa main au moment même où ses doigts touchaient l’arme.

« C’est chaud, hein ? demanda Ly. On s’est fait avoir, pareil.

— Bien sûr, répondit Gérald en se caressant le bouc. Seul l’Élu au cœur pur peut porter l’épée de Lumina.

— Ça veut dire quoi, l’Élu au cœur pur ? Je veux dire, pur en quoi ?

— Pur, répliqua le mage. Nous avons l’épée, nous devons maintenant trouver l’Élu. Ensuite, nous pourrons vaincre les orcs.

— Comment on est censés le trouver ?

— Je vais aller consulter la prophétie. Ça doit être marqué.

— Il y a intérêt, répliqua la reine.

— Oui, ajouta Ly. Ça serait dommage qu’on ait perdu deux jours pour aller chercher une épée si personne ne peut s’en servir.

— C’est sûr, ajouta une voix derrière elle. Ou si elle n’a rien de spécial. »

Ly tourna la tête, surprise, et aperçut Axelle, adossée contre le mur, qui faisait des grands cercles avec l’épée de Monkilla. À côté d’elle, Kalia regardait ses pieds.

« Comment êtes-vous entrées ? demanda la reine en fronçant les sourcils.

— Avec votre laissez-passer, Mademoiselle, expliqua William en sortant de l’ombre. Vous vous rappelez ? Vous me l’aviez donné.

— Ah, Wolf, soupira la reine. Vous êtes là aussi. Fermez la porte, s’il vous plaît. »

Axelle envoya un coup de pied dans le battant.

« Voilà. Maintenant qu’on est tranquilles, tu vas pouvoir nous expliquer à quel jeu de merde tu joues avec nous.

— J’essaie de sauver le royaume.

— Et en quoi mettre en danger la vie de Kalia pour récupérer une épée dont tout le monde se fout va sauver le royaume ? demanda la démone en criant. Explique-moi, parce que j’ai du mal à comprendre !

— Nous avons besoin de l’épée de Lumina, répondit calmement la reine. Pour cela, il fallait une équipe qui ne soit pas trop surveillée. Donc, une diversion.

— Sacrifier un pion sans importance, c’est ça ? demanda Kalia.

— Ne le prenez pas personnellement, répondit la reine. C’est juste que, sans vouloir vous vexer, le sort d’Erekh est plus important que le vôtre.

— Vous auriez au moins pu me prévenir, répliqua l’elfe en regardant ses pieds.

— C’était risquer d’éventer le stratagème. Je suis désolée, mais c’est ce que je devais faire. De toute façon, vous êtes toujours en vie.

— Ce qui veut surtout dire qu’une seule équipe aurait suffit.

— Je ne pouvais pas le savoir à l’avance. Rien ne dit qu’ils n’auraient pas envoyé plus d’hommes en voyant partir des gens plus… expérimentés.

— Tu vas me faire croire que maintenant que t’as l’épée, le monde est sauvé ? répliqua Axelle. C’est bien, ce n’était pas trop compliqué.

— Non, expliqua Gérald. Il faut maintenant trouver l’Élu…

— Élu par qui ? demanda la démone.

— L’Élu, continua le magicien en l’ignorant, qui aura un cœur pur et donc, qui pourra porter l’épée de Lumina et sauver le monde de la menace des orcs.

— Ce n’est pas un peu excessif ? demanda Ly. De parler du monde, je veux dire. Finalement, il n’y a qu’Erekh qui est menacé.

— Et encore », ajouta Kalia.

Tous les regards se tournèrent vers elle. Elle haussa les épaules.

« Je veux dire, Erekh et le Darnolc ont été en guerre pendant des siècles et la frontière n’a jamais beaucoup bougé, hein ?

— Cette fois-ci, c’est différent, expliqua Gérald. Ils ont des armes inconnues jusqu’alors.

— C’était aussi différent les dernières fois. La fois où ils ont eu les catapultes et puis la fois où on — enfin façon de parler, je n’étais pas là — a eu la magie. Et finalement, la frontière passe toujours par le mont Aulmar. »

Il y eut un instant de silence.

« Tu es sûre que tu n’étais pas là ? demanda Axelle.

— Quoi ?

— Les elfes ne vieillissent pas, alors rien ne nous dit que tu n’as pas plusieurs siècles. Et tu as l’air drôlement calée.

— J’ai juste lu des bouquins, répliqua l’elfe à l’âge inconnu en haussant les épaules. Je n’ai pas plusieurs siècles.

— Vous oubliez un détail, ajouta la reine. Les dernières fois, il n’y avait pas de démon à la tête du Darnolc.

— Putain de démons, lâcha Axelle. Toujours à foutre la merde, hein ? »

Armand eut un léger sourire. Elle croisa son regard, et ils se regardèrent dans les yeux quelques secondes.

« Tu veux essayer ? demanda-t-il. Voir si tu as le cœur pur ?

— Pourquoi pas ? demanda la jeune femme en s’approchant du bureau. Ce serait drôle, au final. C’est quoi, le test ?

— Essayer de l’attraper. Ça fait un peu mal, mais ça ne laisse pas de traces. »

Elle approcha sa paume, toucha l’arme et retira sa main en la secouant.

« Bon, ben, je ne suis pas l’Élue.

— C’est peut-être mieux », ajouta Gérald.

Il y eut quelques secondes de silence, pendant lesquelles tous les regards se tournèrent vers le conseiller de sa majesté, à l’exception de celui de William, qui se roulait une cigarette avec une grande concentration.

« C’est-à-dire ? » demanda Axelle en le regardant dans les yeux avec un regard particulièrement mauvais.

« Je veux dire… commença-t-il en grimaçant, qu’il serait compréhensible qu’en tant que démon vous soyez tentée de…

— … détruire Erekh ? compléta Axelle. Ouais, je n’ai vraiment que ça à faire de mes journées.

— Ce que je veux dire, c’est que le roi du Darnolc est aussi un démon, et que vous…

— On est un peu tous pareils.

— Ce n’est pas ce que je veux dire ! se défendit le magicien en rougissant. C’est juste que… Vous pourriez être… avoir envie de… Ce serait juste humain…

— Démoniaque, plutôt, corrigea Axelle. Je comprends l’idée. Alors, en tant que démone tentée d’aider un collègue, je vais vous laisser tranquilles avec votre épée magique pour que vous puissiez trouver votre Élu de merde. Seulement, s’il vous vient encore une fois l’idée de merde de mettre en danger la vie de Kalia, Erekh devra aussi se trouver une nouvelle reine de merde. »

Sur ces mots, elle sortit de la pièce à grandes enjambées. Il y eut un silence pesant.

« Je crois qu’elle l’a mal pris, lâcha Ly en souriant.

— Ben quoi ? demanda le mage. Je veux dire… enfin, c’est un démon, et vous avez l’air de considérer ça normal…

— Nous n’avons pas de loi contre les démons, répliqua la reine. Je suis presque sûre qu’elle n’est pas une menace immédiate pour le royaume. Je ne vais pas l’arrêter juste parce qu’elle a un sale caractère.

— Je vais aller la rejoindre, commença Kalia. Elle…

— Attends, coupa Ly. Tu ne veux pas essayer ?

— Je doute que je sois l’Élue. Il n’y a que pour les missions dangereuses mais inutiles qu’on me choisit.

— Vous avez peut-être le cœur pur », répliqua la reine.

L’elfe hocha la tête et s’approcha du bureau à contrecœur. Elle tendit la main avec appréhension, toucha la garde de l’épée et poussa un cri de douleur.

« Perdu, fit Armand.

— Comme quoi, ajouta Ly, on peut être naïve sans avoir le cœur pur. »

Kalia lui jeta un regard mauvais.

« Je ne suis pas naïve ! répliqua-t-elle.

— Ah non ? Ça ne te surprenait pas qu’on envoie une elfe incompétente récupérer une épée pour sauver Erekh ?

— Je ne suis pas incompétente ! » protesta Kalia, avant de se reprendre : « Bon, d’accord, incompétente, je veux bien, mais pas naïve. »

Elle se dirigea vers la porte, la tête baissée.

« Je suis désolée, dit la reine avant qu’elle ne parte. Ça ne me plaisait pas, mais c’était nécessaire, vous comprenez ?

— Pas franchement, non, répliqua-t-elle en sortant de la pièce.

— On prend tous des risques, ajouta la reine sans savoir si elle l’entendait encore. Même moi. Beaucoup de gens aimeraient bien m’éliminer.

— Ouais, ajouta William en allumant sa cigarette. Je doute juste que vous soyez payées pareil. »

La reine soupira et le regarda méchamment.

« C’était ma sympathique hallucination qui disait ça, ajouta le vampire en tournant les yeux. Je ne faisais que transmettre. »

***

Quand Kalia la retrouva, Axelle était assise, pensive, sur un petit muret au bord de la Malsaine, le fleuve qui traversait la ville de Nonry et qui devait son nom à la couleur de l’eau en aval.

« Ça va ? »

La démone se contenta de lancer un caillou dans l’eau d’un geste rageur.

« Tu sais, reprit l’elfe, je suis sûre que ce type ne pensait pas ce qu’il t’a dit. On te fait confiance.

— Je n’en ai rien à faire, que lui ou la reine me fassent confiance ou pas, répliqua Axelle en souriant.

— Au fait, vous vous connaissiez ? Toi et la reine ? Et William ?

— J’ai croisé William il y a quelques mois. Le milieu des hors-la-loi surnaturels est assez petit. Lucie, je l’ai un peu connue avant qu’elle ne soit reine. Je la préférais avant. Maintenant, elle se figure que parce qu’elle me laisse vivre dans son pays, je devrais lui en être reconnaissante.

— Je comprends, fit Kalia en s’asseyant à côté d’elle. J’étais tellement heureuse quand j’ai appris que dans cette ville, les autres peuples étaient acceptés. Sauf que ce n’est pas vrai, on est juste tolérés, et on nous fait comprendre que si on veut rester, on ferait mieux de se faire discrets. »

Elle posa sa tête sur l’épaule de son amie. Depuis les abords du Palais Royal, la vue était plutôt jolie et, avec le soleil qui se couchait et les jolies couleurs qu’il projetait sur l’eau, on pouvait presque oublier les quelques ordures et poissons morts qui traînaient à la surface.

Axelle passa un bras autour des épaules de son amie et approcha son visage du sien. L’elfe se mordit la lèvre, sans trop savoir quoi faire. Elle aurait voulu l’embrasser, mais elle n’osait pas.

Finalement, elle posa ses lèvres sur celles d’Axelle. Le contact dura quelques secondes, puis la démone s’écarta.

« Écoute, fit-elle, ce n’est pas que ça ne me plaît pas, mais j’ai autre chose d’amusant à faire avec toi ce soir. »

Kalia baissa la tête, penaude. Elle n’était pas persuadée que cela serait aussi plaisant.

***

Axelle attrapa le barreau métallique qui se trouvait au-dessus d’elle et monta de cinquante centimètres. Elle en profita pour reprendre un instant son souffle et eut le malheur de regarder vers le bas. Il fallait l’admettre, elle avait une vue magnifique sur Nonry au clair de lune. C’était le côté positif de se trouver en train d’escalader l’Efeltawar, à quatre-vingt-dix mètres au-dessus du niveau du sol.

Le côté négatif, c’était qu’au moindre faux-pas, elle se fracasserait par terre. Ce qui, via la corde qu’elles portaient autour de leurs tailles, entraînerait sûrement son amie avec elle. Le cordon ombilical qui était censé les sauver en cas de chute servirait plus probablement à les entraîner ensemble vers la mort si l’une d’entre elles venait à glisser ; il était peu probable que Kalia arriverait à tenir leurs deux poids.

Elle n’en était pas tout à fait sûre, cela dit. La plupart des elfes étaient des grimpeurs corrects, mais la jeune femme paraissait se déplacer avec autant de facilité que si elle avait été à l’horizontale. Axelle avait été impressionnée tout le long de leur ascension. Kalia était aussi à l’aise en grimpant que mal à l’aise en face de quelqu’un.

« Passe par la droite, c’est plus facile », chuchota cette dernière.

La démone soupira, souffla dans ses mains et se remit à grimper.

« Attends-moi avant le premier étage. Il y a peut-être des gardes là-haut. »

Elle en doutait. Les mages surveillaient très bien leur ascenseur, relativement bien leurs escaliers, vaguement les pieds de la tour, mais il était peu probable qu’ils aient des sentinelles à l’étage. Ils ne devaient pas penser que quelqu’un pouvait être assez motivé par le peu de choses qu’il y avait à voler pour endurer les cent mètres d’ascension.

Les derniers furent les plus difficiles et Kalia dut finalement aider son amie à passer la rambarde. Il n’y avait personne en vue. Les deux jeunes femmes se détachèrent l’une de l’autre et se regardèrent un instant.

« Ça va ? chuchota l’elfe.

— Ça ira mieux quand j’aurai à nouveau les pieds sur terre.

— On y va ?

— Une seconde. Laisse-moi reprendre mon souffle. »

***

Kalia surveillait avec anxiété les environs pendant qu’Axelle crochetait la serrure de la bibliothèque.

Ensuite, elles pénétrèrent à l’intérieur. L’elfe s’extasia devant les immenses rayonnages de livres.

« Je n’ai jamais vu une telle collection, murmura-t-elle.

— Il y en a sans doute un tas qui sont très chiants, répliqua Axelle en allumant une bougie. Il n’y a pas un plan quelque part ?

— Là », montra Kalia en désignant une affiche sur le mur, avant de retourner rapidement à la contemplation des étalages. « C’est quand même dommage que les mages ne recrutent pas de femmes. Je pourrais passer des journées ici.

— Tu n’as qu’à en prendre quelques-uns, proposa la voleuse en examinant le plan.

— Ce n’est pas très légal.

— Au point où on est… Et puis, ils n’avaient qu’à pas être sexistes. » Axelle fronça les sourcils en regardant son amie. « Si tu ne comptais rien prendre, pourquoi t’as apporté ton sac à dos ?

— Ben, j’avais juste envisagé la possibilité que tu me convainques.

— D’accord… Tu voudras bien attendre qu’on ait fini ce qu’on a à faire avant, cela dit ?

— Ça dépend de ce que je vois en chemin. »

***

Elles se promenèrent entre les rayonnages pendant plusieurs minutes avant de trouver ce qu’elles cherchaient.

« C’est là, fit Axelle. Toutes les prophéties. »

Il y en avait un sacré paquet. Les parchemins s’étalaient sur des mètres d’étagères. Kalia en sortit un autre de son sac. Elle s’était donnée beaucoup de mal pour lui donner un aspect authentique et ancien. C’était plutôt convaincant : l’encre était à peine sèche, mais le parchemin paraissait avoir quelques siècles.

« Bon, il faut trouver comment c’est classé, chuchota-t-elle.

— Non. Mets-la au hasard. Sinon, il se demandera pourquoi il ne l’a pas trouvée plus tôt.

— Comme tu veux, répondit l’elfe en insérant sa prophétie parmi les autres.

— Parfait.

— Si tu le dis. Maintenant, tu veux bien finir de me convaincre ? J’ai un sac à dos à remplir. »

***

Les deux jeunes femmes terminèrent leur opération nocturne sans incident et rentrèrent indemnes dans l’appartement d’Axelle. Elles posèrent le sac chargé de livres par terre, à côté du reste de leurs affaires, qu’elles avaient laissées là avant d’aller rendre visite à la reine.

Kalia bâilla longuement pendant que la démone se déshabillait.

« Je vais y aller », annonça-t-elle.

Son amie secoua la tête.

« Il est quatre heures du matin et tu habites à l’autre bout de la ville.

— Ce n’est pas si loin…

— Kalia… », soupira Axelle en s’allongeant dans son lit. « Il faut une bonne demi-heure de marche et c’est pour ça qu’on avait laissé les affaires. Alors tu vas dormir ici et tu rentreras demain. »

L’elfe regarda ses pieds un long moment tandis qu’elle hésitait. Puis elle réalisa qu’elle n’avait en effet aucune envie de faire le chemin jusqu’à chez elle et elle se décida finalement à retirer ses bottes et son pantalon.

« Bonne nuit, fit-elle en s’allongeant à côté de son amie.

— ’nuit », répondit la démone en soufflant la bougie.

Kalia resta un certain temps immobile, dans le noir, sans réussir à dormir, contrairement à son amie qui s’était, à son grand regret, assoupie immédiatement.

Elle en profita pour faire un point sur sa situation. Elle récapitula ce qu’elle savait sur les relations entre Erekh et le Darnolc, l’importance de l’épée, la localisation de l’Élu, les prophéties, sa manipulation par la reine et leur accrochage avec elle. Lorsqu’elle allait aborder le point le plus compliqué, c’est-à-dire sa relation avec celle qui dormait à cinq centimètres d’elle, elle était déjà à moitié inconsciente et sombrait dans les bras de Morphée.

***

La première chose que vit Kalia en se réveillant, ce fut le visage d’Axelle. Elle était agenouillée à côté du lit, en train de lui caresser l’oreille.

« Hmphrf.

— Bien dormi ?

— Quelle heure il est ?

— Midi.

— Et tu me tripotes l’oreille depuis combien de temps ?

— Je ne sais pas », répondit Axelle en souriant.

Kalia fronça les sourcils.

« Ça a l’air de t’amuser, en tout cas.

— Oui. Ça m’a toujours fascinée, les oreilles des elfes. Tu veux manger quelque chose ?

— Laisse-moi au moins le temps de sortir du lit.

— J’ai des croissants et du thé. Tu peux manger là.

— Dans ce cas, alors… »

Axelle se leva et alla chercher le petit-déjeuner tandis que Kalia s’efforçait au moins de passer en position assise.

« Tu t’es levée tôt ?

— Pas franchement », répondit Axelle en s’asseyant en tailleur au pied du lit. « Bon appétit.

— Merci. »

L’elfe attrapa un croissant et commença à le manger en silence. Axelle était pensive aussi, comme si elle voulait dire quelque chose mais ne savait pas trop comment s’y prendre.

« Tu sais…, commença finalement Kalia.

— Quoi ? »

La jeune femme grimaça. Elle s’engageait sur un terrain qu’elle trouvait quelque peu glissant.

« Ces derniers jours… on a passé pas mal de temps ensemble, toutes les deux…

— Ouais.

— C’était de bons moments… » Elle secoua la tête. « Enfin, non, pas vraiment de bons moments en soi, mais, je veux dire… »

Kalia se mordit la lèvre et rougit légèrement.

« J’ai bien aimé être avec toi… enfin, sauf le coup de la pierre tombale.

— Désolée.

— Je veux dire… Enfin, je me demandais…

— Écoute, je crois que je vois à peu près où tu veux en venir. Le baiser d’hier soir me semblait assez clair. »

L’elfe sourit légèrement, mais Axelle, elle, semblait un peu embêtée.

« Seulement, reprit Axelle en grimaçant, ce n’est peut-être pas le bon moment pour discuter de ça. On aura plus de temps pour parler de ce genre de choses à mon retour.

— Ton retour ? Ton retour de quoi ?

— Je pars au Darnolc. »

Kalia fronça les sourcils, sans comprendre.

« Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ?

— William a reçu un message. Il a un ami, un orc, qui a été emprisonné. Il va être exécuté.

— Et tu veux le libérer, termina l’elfe d’un air morose.

— J’ai promis à William. Je dois y aller.

— Alors, je viens avec toi.

— Non. C’est trop dangereux.

— Je ne veux pas te perdre !

— Je reviendrai. Promis. »

Axelle se leva, se dirigea vers une table sur laquelle traînaient divers papiers, déchira un morceau de feuille, écrivit quelque chose dessus, et le tendit à Kalia.

« Et si je ne reviens pas, sers-toi de ça. »

L’elfe attrapa le papier, et lut : « Ynëevgu svyyr qr Yhpvsre sbexér pbzzr Nkryyr ».

« C’est quoi ? demanda-t-elle.

— C’est mon nom véritable. Mon nom de démon. Avec ça, tu devrais pouvoir m’invoquer, si je venais à mourir.

— Et je fais ça comment ?

— Je croyais que tu t’y connaissais un peu en sorcellerie ?

— Assez pour savoir que ça n’a pas grand-chose à voir avec l’invocation de démons.

— Tu te débrouilleras, s’il le faut vraiment. L’essentiel, c’est le nom et le sacrifice humain.

— Je préférerais éviter le sacrifice humain.

— Je vais revenir, de toute façon. Promis. »

Kalia essuya une larme qui avait coulé sur sa joue.

« J’espère que ça ne sera pas trop long.

— Ne t’en fais pas. Grâce aux dragons, ça devrait être l’affaire de quelques jours. »

L’elfe hocha la tête, sortit finalement du lit, attrapa son arbalète et le verre de vision nocturne et les tendit à son amie.

« Prends ça. Tu en auras plus besoin que moi, j’imagine.

— D’accord. Avec ça, je vois pas trop ce qui pourrait m’arriver. »

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