Des vacances de rêve entre copines : balades, baignades, et fusillades
Synopsis
Les Hautes-Alpes sont un lieu idéal pour des vacances entre copines : balades en montagne, baignades au lac, soirées barbecues. En tout cas, c’était le plan de départ.
Une rencontre impromptue avec une jeune femme poursuivie par des tueurs à gage a tout fait basculer, et maintenant Betty, Razor et Karima doivent faire face à des magouilles de sorciers, des vampires bourgeois, des créatures des enfers et une policière psychopathe.
Heureusement, elles ne sont pas des touristes ordinaires, mais font partie de la fine fleur anarcho-punk et sont prêtes à recevoir tout ça à coups de docs coquées.
Un roman de fantasy urbaine à la montagne mâtiné de thriller
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Informations complémentaires
Ce livre se déroule après La sorcellerie est un sport de combat, mais est conçu comme un roman indépendant pouvant être lu séparément.
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Chapitre 1
Dix-neuf heures
Quelque part dans les Hautes-Alpes, sur le bas-côté d’une petite départementale, était immobilisée une petite Clio rouge. À travers ses fenêtres ouvertes, on pouvait entendre la neuvième symphonie de Ludwig Van Beethoven.
C’était une Clio première génération, qui avait manifestement roulé depuis un certain temps et parcouru un nombre non négligeable de kilomètres. Elle avait toujours des plaques d’immatriculation sur fond noir, les vieilles qui ne se faisaient plus depuis bien longtemps. Le numéro de département indiquait qu’elle n’était pas du coin. Elle n’avait plus d’enjoliveurs depuis des années, et sa peinture était rayée à un certain nombre d’endroits. Hormis tout cela, elle restait dans un état à peu près correct.
Cette voiture avait un nom : Tuture, qui ne lui rendait sans doute pas tout à fait justice.
Sur le capot de Tuture était assise une femme dénommée Razor. Celle-ci avait, par rapport à son véhicule, un nom qui lui correspondait mieux. Certes, il lui avait été attribué parce qu’elle tondait régulièrement les cheveux de ses proches et non en vertu de ses capacités à l’arme blanche. Cela dit, lorsqu’on la voyait, avec sa grande taille, ses cheveux rasés, sauf sur le devant, le jean rentré dans des docs montantes et son expression faciale habituelle qui disait subtilement « j’ai pas envie de te parler », on ne trouvait pas surprenant que Razor s’appelle Razor.
Razor attendait, assise sur le capot de sa voiture, tout en fumant une cigarette. Un instant, elle regarda un écureuil grimper dans un arbre à l’espèce indéterminée, puis se lassa du spectacle et se focalisa à nouveau sur sa cigarette.
Il y eut un bruit de moteur. Il émettait de puissantes vibrations à basse fréquence caractéristiques d’une moto de grosse cylindrée. Encore une minute à attendre, et Razor vit apparaître la moto en question, une Harley-Davidson qui s’appelait DeathBringer. Son propriétaire était, clairement, plus porté que Razor sur le dramatique lorsqu’il s’agissait d’attribuer des noms à des véhicules.
L’homme qui conduisait DeathBringer s’appelait Striker, et il avait une allure impressionnante. À côté de lui, Razor avait l’air de quelqu’un de sage, rangé et aimable, en dépit de son air renfrogné très travaillé, et semblait même relativement petite. Striker avait une dégaine typique de motard : grosse bottes, pantalon et blouson en cuir noir, chemise en jean, barbe et cheveux longs au vent. Il avait également sur le visage un grand bandeau noir qui lui masquait un œil, ou plutôt (on pouvait le supposer) ce qu’il en restait.
Razor poussa un soupir dédaigneux et jugea le tout un peu trop « over the top », tandis que Striker mettait un pied à terre à côté d’elle. Elle attendit qu’il ait coupé le contact, puis s’approcha de lui.
— Striker, je présume ? demanda-t-elle.
— Et tu dois être Razor. J’aime pas bien ta voiture.
Razor jeta un coup d’œil à Tuture, un peu vexée. D’accord, la Clio ne payait pas de mine face à une Harley, surtout que celle-ci était customisée avec une tête de mort chromée (Razor songea d’ailleurs furtivement qu’elle devrait peut-être ajouter un accessoire dans le style à Tuture), mais il y avait des règles de politesse à respecter.
— Joue pas au con de motard élitiste. T’as ce que je te demandais ?
Striker descendit de sa moto, prit le temps de s’étirer un peu les bras, puis se mit à fouiller dans une de ses sacoches.
— Je suis pas un con de motard élitiste, finit-il par dire. Juste un ancien sorcier laissé sur le carreau. J’étais peut-être pas le plus doué dans le domaine, mais je sais encore reconnaître la puanteur de la magie noire quand c’est sous mon nez.
— T’es plus un mage, alors épargne-moi tes leçons. Et évite de dire que Tuture pue. Elle est susceptible.
Razor aussi avait donné dans la sorcellerie, dans une autre vie. C’était par ses anciens réseaux qu’elle avait déniché le numéro de Striker, qui s’était depuis longtemps reconverti dans la vente de cannabis. C’était pour ça qu’elle l’avait contacté au milieu de ses vacances, pas pour parler magie noire.
— D’accord, je la boucle, fit Striker en sortant un sachet en plastique. C’est ta vie, t’en fais ce que t’en veux. T’as l’argent ?
Razor sortit quelques billets de sa poche arrière et les tendit au motard en échange du sachet. Sans un remerciement, Striker fit redémarrer sa moto d’un coup de pied, puis repartit là par où il était venu.
De son côté, Razor se dirigea vers sa voiture, et lui jeta un petit regard compatissant.
— Écoute pas ce qu’il dit. C’est rien qu’un con.
Quelques minutes plus tard (le temps que Razor se roule un ou deux pétards, pour la route) Tuture repartit, et la neuvième symphonie de Beethoven s’arrêta, bientôt remplacée par Oi! Oi! Oi!, des Cockney Rejects. La musique classique, ça allait deux minutes.
19:03:07
Le quatre-quatre noir s’arrêta sur la petite route. Il ne pouvait pas aller plus loin : après, on ne pouvait passer qu’à pied, sur des chemins de randonnée ou à travers champs. Thomas Dumont constata que dans une autre voiture, une vieille Volvo des années quatre-vingt, son coéquipier l’attendait déjà. Parfait
Thomas descendit de son véhicule, puis se dirigea vers le coffre pour libérer Frank. Ce dernier était un chien de Saint-Hubert, une race dont le sens de l’odorat particulièrement développé en faisait l’idéal pour retrouver des personnes disparues. Disparues, ou qui cherchaient à disparaître. Thomas n’aimait pas beaucoup le nom français : « chien de Saint-Hubert », c’était beaucoup, beaucoup moins impressionnant que l’équivalent anglais : bloodhound.
Thomas Dumont était un homme plutôt petit, d’une quarantaine d’années, avec les cheveux courts et une calvitie naissante. Il portait un pantalon treillis militaire, une chemise à carreaux rouges et blancs, et une veste à poches de chasseur. Tout le contraire de son collègue, Benjamin Muller, qui venait de sortir de la Volvo. Celui-ci était grand, avait les cheveux blonds et longs, et portait un costume-cravate très chic et — jugea Thomas — absolument inadapté à une chasse en montagne.
— Monsieur Dumont ! lui lança Muller avec un grand sourire. Je vois que vous avez réussi à obtenir la garde de notre ami canin.
— C’est un clébard, répliqua Thomas. Pas mon pote.
Muller se dirigea à son tour vers le coffre de son véhicule et en sortit pour sa part une imposante Kalashnikov.
— Nous aurions peut-être pu demander à nos employeurs s’ils n’avaient pas un loup-garou à mettre à notre disposition. Cela aurait été plus rapide.
Thomas leva les yeux au ciel, à la fois à cause du fusil d’assaut et de l’idée de travailler avec des loups-garous. Non seulement Thomas ne leur faisait pas spécialement confiance, mais, en plus, leur flair, même augmenté lors de leur transformation, n’était rien à côté de celui d’un bloodhound de Saint-Hubert.
— C’est vraiment obligatoire, l’AK47 ? demanda-t-il.
— Je vous rappelle, monsieur Dumont, que la jeune femme que nous recherchons a déjà éliminé deux de nos amis.
— C’était pas mes potes, répliqua Thomas.
S’il appréciait Benjamin Muller, notamment pour ses capacités physiques redoutables, la tendance de son ami à vouloir parler comme un bourge l’énervait au plus haut point, sans parler de son allure de pingouin. Ils étaient tueurs à gage, pas commerciaux.
— Cette salope a pas mal d’avance, reprit Thomas, mais le clebs va la retrouver vite faf. Vu qu’elle est obèse et blessée, elle ne doit pas être si loin. Par contre, la kalash, si on tombe sur des locaux…
— Notre cible est peut-être en surcharge pondérale, protesta Muller, mais il semblerait de toute évidence qu’elle bénéficie de capacités quelque peu inhumaines.
Cela n’inquiétait pas vraiment Thomas. Il avait déjà vu son collègue régler définitivement son compte à plus d’un surnaturel. Cela dit, si ce dernier se sentait obligé de prendre son fusil d’assaut, libre à lui.
Thomas sortit de sa veste à poches un sachet en plastique. Précautionneusement, il tira de celui-ci un morceau de tissu, qu’il présenta au limier.
— Vas‑y, Frank, ordonna-t-il. Cherche !
19:08:14
Betty examinait attentivement les différentes variétés de chips, essayant de trouver celles dont la taille du paquet était la moins réduite et le prix le moins exorbitant. Elles avaient merdé, décida-t-elle. Devoir se retrouver à acheter des chips dans une petite épicerie, juste à l’heure de la fermeture, c’était vraiment une erreur de débutantes. Elles auraient dû en prendre au supermarché.
Betty était une jeune femme qui portait de longs cheveux blonds, un décolleté plongeant, une mini jupe, des bas résille et des bottes de combat coquées qu’elle ne rechignait pas à utiliser lorsque les éléments précédents de l’énumération lui attiraient des remarques d’individus pénibles.
Après les avoir soupesés à de multiples reprises, elle finit par se décider pour trois paquets de chips de saveurs différentes. À côté d’elle, Karima commençait à s’impatienter.
— On pourrait peut-être aussi prendre des sucreries, suggéra Betty. Pour Razor.
— L’autre connasse qui prend la voiture ? À cause d’elle, on doit faire des courses à pied !
— Ouais, mais ça lui remonterait le moral.
Karima fit une grimace interrogatrice.
— Tu ne trouves pas qu’elle a l’air un peu déprimée ? demanda Betty.
Karima ne répondit rien, et se contenta d’attraper les paquets de chips pour se diriger vers la caisse. Elle n’avait pas envie de passer la soirée dans une épicerie, surtout que depuis le début le vendeur la regardait d’un air soupçonneux. Ça commençait à l’énerver un peu.
— Bonjour, Monsieur, lança celui-ci avant de scanner les articles.
Karima soupira. Elle avait l’habitude que les gens se trompent sur son genre. C’était peut-être la coiffure : elle avait quelques cheveux tondus sur le haut du crâne, mais le reste de celui-ci était impeccablement lisse, dévoilant le dragon qui était tatoué dessus et lui encerclait la tête, accompagné du message « MESS WITH THE CAR, DIE LIKE THE CDR ». Ou peut-être que c’était à cause de sa veste de sport Lonsdale un peu trop grande, qui cachait ses formes. Dans l’absolu, elle préférait quand c’était un peu plus moulant, mais c’était le souci de commander des fringues pas chères sur Internet.
Karima paya sans signaler son erreur au caissier. C’était un type qu’elle ne reverrait sans doute jamais, elle n’allait pas perdre son temps à lui expliquer la vie.
19:11:50
Angela Lockheart gara sa voiture de service devant le chalet et prit le temps de vérifier que l’adresse était la bonne avant de couper le contact. Elle avait appris à se méfier des indications du GPS, pas toujours très à l’aise dans les zones un peu rurales.
Angela était lieutenant de police, affectée à la brigade surnaturelle. Elle avait longtemps travaillé en région parisienne. Là, elle avait été confrontée à des gangs de loups-garous et des vampires tueurs en série et participé à démanteler des trafics de reliques magiques.
Et puis elle avait été mutée dans les Hautes-Alpes, et son boulot avait radicalement changé. L’essentiel de ses interventions consistait maintenant à aller demander à des lycanthropes de baisser le son lorsqu’ils écoutaient de la musique trop fort. Ce que d’autres policiers auraient très bien pu faire, mais il s’agissait de loups-garous, pas vrai ? Ils risquaient de se transformer et de déchiqueter le pauvre agent de la paix. Dans les faits, Angela constatait qu’ils se contentaient en général de réduire le volume en voyant un badge de police.
Un peu plus tôt dans la journée, elle avait eu une mission de ce genre et dû remettre les pendules à l’heure à un groupe de garous qui faisaient un barbecue sauvage près du lac de Serre-Ponçon, au mépris des risques d’incendies. C’était de loin l’intervention la plus excitante qu’elle ait eu à faire ces dernières semaines : ils avaient un peu levé le ton, et elle avait cru qu’elle allait pouvoir faire un usage proportionné de la force (elle aimait beaucoup cette expression : d’un point de vue mathématiques, répliquer cent fois plus fort, c’était toujours « proportionnel », après tout). Malheureusement, ils s’étaient vite calmés et elle avait dû se contenter de confisquer un fusil à harpon qui était beaucoup trop dangereux pour de la pêche dans un lac de montagne ne contenant, aux dernières nouvelles, aucun requin.
Sa nouvelle tâche s’annonçait plus ennuyeuse : Angela avait été appelée pour enquêter sur une affaire de poltergeist, ce qui concrètement voulait la plupart du temps dire qu’un chat foutait le bazar dans la maison d’une personne âgée ou qu’une fenêtre fermait mal et se rouvrait avec le vent.
La maison en question était un petit chalet de montagne, à une dizaine de minutes de Gap. Malgré sa proximité relative avec une « grande ville » (Angela se disait parfois qu’elle avait quitté Paris depuis trop longtemps pour en être venue à considérer une ville de quarante mille habitants comme grande), le chalet était plutôt isolé. Le bâtiment le plus proche était une vieille ferme qui, selon toute apparence, était inutilisée depuis des années.
Elle ne regrettait pas vraiment l’époque où elle était à Paris : l’action lui manquait parfois, mais une vie tranquille était peut-être mieux pour elle. Elle n’avait pas été mutée pour rien. Quand il y avait besoin d’agir, elle agissait, elle faisait ce qu’il fallait faire, et peut-être aussi un peu plus que ce qu’il fallait vraiment faire, et quand les choses se calmaient des suspects protestaient parce qu’ils étaient ressortis de leur interrogatoire avec quelques doigts en moins (le suspect en question étant un loup-garou, il ne s’agissait pas techniquement d’une véritable mutilation irréversible, en tout cas du point de vue d’Angela). Et sa direction l’avait couverte à chaque fois que les informations obtenues avaient été utiles et que les suspects étaient, de fait, coupables, mais un jour un de ces idiots avait eu la mauvaise idée d’être innocent et, qui plus est, plutôt dans la catégorie « riche entrepreneur » que « jeune connu des services de police ». Résultat, Angela avait été suspendue un moment, puis affectée dans une zone plus calme. Elle en avait beaucoup voulu à ses supérieurs : de son point de vue, soit on condamnait la brutalité dans tous les cas, même quand ça marchait, soit on estimait que statistiquement ça voulait dire brutaliser la mauvaise personne de temps en temps. Un peu de rigueur mathématiques, quoi.
Cela dit, elle devait admettre qu’elle était peut-être mieux à la campagne, à se contenter de tâches dont l’ennui était finalement quelque peu rassurant. C’est pourquoi, lorsque madame Petit ouvrit la porte de son chalet, elle la salua avec un sourire sincère.
19:17:15
— Ah, merde, elle ne répond pas, fit Betty en rangeant son téléphone.
Karima haussa les épaules. Lorsque Razor était partie en prenant la voiture, il était assez évident qu’elle avait besoin d’être seule un moment. Il n’était donc pas très étonnant qu’elle ne décroche pas. D’autant plus qu’elle était au volant, mais Karima doutait que cela soit réellement ça qui empêche Razor de décrocher.
— Ce n’est pas la mort de remonter à pied.
Le chalet de la famille de Betty, dans lequel elles passaient deux semaines de vacances, était situé dans la montagne, un peu au-dessus d’un village de trois mille habitants. Ce n’était qu’à une dizaine de minutes à pied, mais ça montait un peu fort, et Karima devait admettre qu’elle aurait aimé pouvoir se poser sur le balcon avec de la bière et des chips sans avoir à faire cet effort.
— C’est moi, demanda-t-elle en se mettant en marche, ou le vendeur me regardait bizarrement ?
— Tu veux dire, comme un type raciste qui pense que tu vas lui chourrer des trucs ?
— Ouais. Et qui me prenait pour un gars. Putain de bouseux.
— Et ta vraie question, c’est : est-ce que j’ai profité du fait qu’il était focalisé sur toi pour glisser subrepticement des choses dans mon sac à main ?
— Ouais.
Betty fit un grand sourire à sa comparse.
— Évidemment. D’accord, on est en vacances, mais quand même, ce n’est pas une raison pour se laisser aller. Disons qu’on ne va pas manquer de chips tout de suite. Ni de barres chocolatées.
19:19:53
— Alors, demanda Angela à madame Petit, qu’est-ce qui vous arrive, exactement ?
Jocelyne Petit était une dame plutôt ronde qui devait avoir autour de soixante-dix ans. Elle avait tenu à servir un thé à la policière, et elles étaient maintenant installées dans le salon. Angela avait posé à ses pieds une sacoche contenant du matériel de mesure, tandis que madame Petit caressait un chat blanc obèse qui paressait à côté d’elle. Usual suspect, pensa Angela en jetant un regard accusateur au matou.
La policière était une brune de trente-quatre ans, assez grande et plutôt athlétique. Son affectation dans la brigade surnaturelle ne le nécessitant pas, elle ne portait pas d’uniforme de police, mais un chemisier blanc ainsi qu’une veste et un pantalon tailleurs noirs qui lui donnaient, elle l’espérait, un look d’agent spécial du FBI. Un observateur avisé aurait pu se rendre compte que ses chaussures étaient des rangers pas très en raccord avec la tenue, mais comme le bas du pantalon cachait les sangles des bottes militaires, cela ne se voyait pas trop.
— C’est tout à l’heure, expliqua madame Petit. J’ai entendu des bruits de claquements dans la chambre…
— Vous étiez où, à ce moment-là ? interrompit Angela.
— Dehors. J’étendais le linge. Lorsque je suis arrivée, les meubles étaient renversés, et la vitre de la fenêtre était brisée.
Angela but une gorgée de thé et prit le temps de réfléchir. Un coup de vent ? Le chat ? Un coup de vent qui aurait fait paniquer le chat ? Dans tous les cas, elle avait du mal à croire à un évènement surnaturel. D’accord, les vampires et les loups-garous existaient, tout le monde le savait, et il y avait un certain nombre d’autres choses dont la plupart des gens ignoraient l’existence, mais la plupart du temps, les soi-disant poltergeists s’expliquaient de façon très banale.
— Vous avez vu quelque chose ? demanda-t-elle après avoir reposé sa tasse.
— Non, répondit madame Petit. Quand je suis arrivée, c’était fini.
— Et ça s’était déjà produit avant ?
— Non. C’est la première fois. Vous pensez que ça pourrait être un fantôme ?
Angela en doutait. Les fantômes avaient déjà du mal à apparaître de manière éthérée, alors renverser des meubles ? C’était plutôt un truc de félin, ça.
— Vous me montrez la chambre ?
— Bien sûr.
Angela attrapa sa sacoche et se leva, puis suivit madame Petit. La chambre de celle-ci était dans un désordre qui tranchait avec le reste de l’appartement. Une table de chevet était à terre, il y avait du verre brisé au sol et sur le lit, l’armoire était ouverte et une partie de son contenu — essentiellement des couvertures — avait été projetée à l’autre bout de la pièce.
Angela devait l’admettre, si c’était le chat qui avait fait ça, il devait être sacrément énervé. Ou à la poursuite d’une souris. Pas impossible, mais elle commençait à se demander si le chat blanc qu’elle avait vu dans le salon ne lui semblait pas un peu paresseux pour faire l’affaire.
— Je n’ai touché à rien, expliqua madame Petit. Je me suis dit que c’était mieux.
Angela hocha la tête et ouvrit sa sacoche, afin de procéder à quelques mesures qui montreraient à la vieille dame qu’elle n’avait rien à craindre.
— Vous avez fait des cauchemars ? demanda-t-elle. Des rêves étranges ?
— Non, répondit madame Petit. Je ne me souviens jamais de mes rêves.
Probablement pas un fantôme, décida Angela en sortant un détecteur thaumaturgique de la sacoche. La chose s’apparentait beaucoup à un compteur Geiger, sauf qu’il permettait de mesurer le champ éthérique et non pas la radioactivité. Comme l’évènement que lui avait raconté madame Petit n’avait eu lieu qu’un peu plus tôt dans la journée, il y aurait encore un effet mesurable. À condition, évidemment, que quelque chose de surnaturel en ait été la cause.
Angela fronça les sourcils en regardant le compteur, et réinitialisa l’appareil pour être sûre qu’il n’y avait pas un souci. Le petit écran LCD persistait pourtant à afficher la même chose : la chambre de madame Petit avait un champ magique vingt fois supérieur à la normale.
19:26:38
Les bras chargés de chips et sucreries, Karima et Betty arrivèrent au chalet. Après avoir traversé le jardin, Karima déverrouilla la porte, posa le sachet avec les courses, attrapa son ordinateur portable et repartit s’installer sur un transat dehors. Le paysage, en cette fin de journée, était magnifique : il y avait à l’avant-plan de belles vallées vertes, puis le lac de Cerf-Ponton, entouré de montagnes dont la plus imposante était le Mordor (Karima avait une approche créative de la géographie qui la poussait à légèrement modifier les noms de lieux dans sa mémoire). Cela dit, la jeune femme ignora complètement la vue et ouvrit son laptop. Si ses deux amies Betty et Razor étaient en vacances complètes, ce n’était pas tout à fait son cas : il fallait qu’elle profite de son temps libre pour avancer dans la rédaction de sa thèse. Même si, pour être honnête, il y avait de bonnes chances qu’elle fasse une dizaine d’autres choses sur son ordinateur avant de s’attaquer à son manuscrit.
Son champ de recherche était, comme tout domaine pointu, un sujet un peu obscur pour les béotiens intitulé « Théorie des langages de programmation ». Karima, après des débuts difficiles (elle avait notamment eu du mal à s’habituer au fait de donner des cours) s’en sortait plutôt bien. Durant ses trois années de thèse, elle en était venue à développer son propre langage de programmation. Elle avait appelé son bébé Apocalisp, parce qu’il était inspiré du Lisp (sans aucun doute l’un des langages préférés de Karima, notamment grâce à sa simplicité, le seul réel élément de syntaxe étant les parenthèses (qui venaient en abondance dès qu’on rédigeait un programme, même basique (Karima trouvait que la symétrie et la structure de toutes ces parenthèses lui apportait une certaine forme de sérénité, et lorsqu’elle se penchait sur le sujet, elle en arrivait à penser en parenthèses, et elle oubliait tout le reste))). Celui-ci avait même rencontré un petit succès d’estime, en tout cas pour un projet qui n’avait que pour but de valider quelques hypothèses scientifiques.
Malheureusement, après avoir passé beaucoup de temps à réfléchir et à programmer (avec une abondance de parenthèses), Karima en était maintenant au stade où elle devait rédiger (en évitant l’abus de parenthèses), ce qui était nettement moins enthousiasmant.
Betty vint bientôt la rejoindre, une bière à la main. Elle regarda un moment son amie pianoter sur l’ordinateur sans oser la déranger.
— Toujours pas de signe de Razor, finit-elle par dire.
Betty, elle devait l’admettre, s’inquiétait facilement pour ses copines. Elle essayait de se soigner et de ne plus les harceler au téléphone dès qu’elles rentraient avec cinq minutes de retard, mais ce n’était pas évident. En l’occurrence, cela faisait plus d’une heure que Razor avait grimpé dans sa voiture et était partie sur les chapeaux de roue. Ce n’était pas forcément très inquiétant en soi, d’accord, mais lorsqu’elle la voyait partir dans cet état, Betty avait toujours un peu peur que son amie ne fasse une connerie.
Cela dit, il était sans doute un peu tôt pour réessayer de la rappeler. Betty avait déjà prétexté un manque de chips pour descendre au village et pouvoir appeler son amie au retour pour lui demander de les remonter en voiture, elle n’allait pas réessayer toutes les dix minutes. Peut-être tous les quarts d’heure, à la limite.
— Ne t’en fais pas, répondit Karima sans lever les yeux de son écran. Je pense qu’elle avait juste besoin d’être seule.
Betty hocha la tête, essayant fort de se convaincre qu’il s’agissait de cela. Ce n’était pas absurde : Razor était du genre solitaire et taciturne. C’était déjà un miracle de l’avoir convaincue de les accompagner en vacances et il était compréhensible qu’après quelques jours à devoir vivre à trois dans un chalet qui n’était pas très grand, elle ait besoin de s’isoler.
Néanmoins, Betty n’était pas certaine que ça soit la seule explication.
— Tu ne trouves pas qu’elle est un peu déprimée, en ce moment ?
Karima prit le temps de terminer la phrase qu’elle était en train de taper avant de répondre, mais cette fois-ci elle fit l’effort de lever les yeux vers son amie.
— C’est Razor. Elle est toujours comme ça. C’est son caractère, c’est tout.
Là encore, Betty aurait bien aimé être convaincue, mais elle ne l’était pas tout à fait. Certes, Razor n’avait jamais été quelqu’un de particulièrement jovial, mais il lui semblait que c’était pire, ces derniers temps. Elle se désintéressait de tout. Betty pensait que c’était parce que Cookie, l’amie la plus proche de Razor, s’était trouvée une petite amie, et qu’elle passait maintenant beaucoup plus de temps avec elle qu’avec ses potes. Karima et Betty avaient beau être proches de Razor, ce n’était pas pareil. Les deux avaient le même âge et étaient geeks, tandis que Razor avait dix ans de plus et n’était branchée ni ordinateurs, ni science-fiction.
Peut-être, songea Betty, que la solution aurait été de faire rencontrer de nouvelles personnes à son amie, mais Razor n’acceptait en général de parler à des inconnus que si elle avait un pistolet sur la tempe.
Betty se serait sans doute moins fait de souci si son amie l’avait prévenue qu’elle ne comptait pas juste conduire au hasard sur des routes de montagne (même si cela faisait aussi partie de son plan) mais également rencontrer un type louche et patibulaire afin de se fournir en herbe. Malheureusement, si Betty avait le défaut de trop s’inquiéter, Razor avait celui de ne pas se confier beaucoup, ce qui entraînait régulièrement des situations inutilement anxiogènes.
19:33:38
Angela était déconcertée. Elle avait promené son détecteur thaumaturgique dans tout le chalet de madame Petit (ce qui n’avait pas pris un temps énorme) et l’engin était formel : il y avait des traces de magie anormalement élevées, qui culminaient dans la chambre à coucher.
Ce n’était pas du jamais vu, mais dans les Hautes-Alpes, c’était étonnant. Qu’est-ce qui avait bien pu se passer ? Elle se prit à envisager l’hypothèse d’un cercle de culture. Elle n’avait jamais été convaincue par ces choses-là, et ils n’étaient jamais qu’un symptôme supplémentaire et pas une explication, mais peut-être qu’à la campagne des portes vers d’autres mondes s’ouvraient et affolaient le champ thaumaturgique. Bon, d’accord, ce n’était sans doute rien d’aussi intéressant, mais on pouvait toujours espérer.
— Vous pensez que c’est dangereux ? demanda madame Petit.
— Non, répondit catégoriquement la policière. Étrange, oui, mais pas dangereux.
Elle n’en était pas tout à fait sûre : après tout, dix minutes plus tôt, elle pensait encore que tout cela devait être de la faute du chat, ce qui semblait maintenant tout à fait improbable (ou alors, le chat blanc dodu cachait vraiment bien son jeu). Cependant, autant que madame Petit ne se mette pas à paniquer.
Angela sortit du chalet, les yeux toujours rivés sur son détecteur thaumaturgique. Lorsqu’elle s’éloignait de la chambre, les chiffres baissaient doucement, mais lorsqu’elle fit le tour du chalet pour se mettre de l’autre côté de la fenêtre brisée, ils étaient encore plus élevés qu’à l’intérieur.
Il y avait donc eu un évènement surnaturel quelconque, à l’extérieur, suffisamment fort pour casser une fenêtre et renverser des meubles dans le chalet. À quelques mètres d’elle, madame Petit la suivait et la regardait faire, sans oser poser de questions.
Angela tâtonna un peu pour essayer de voir d’où tout cela avait pu venir, passant un peu de temps à marcher d’un côté, puis de l’autre, les yeux rivés sur le compteur.
Au bout d’un moment, elle finit par estimer la direction qui devait mener à la source du phénomène, et son regard se porta sur la vieille ferme, située à quelques centaines de mètres.
— Madame Petit, demanda-t-elle, vous savez à qui ça appartient ?
— Je ne suis pas sûre, répondit la vieille dame. C’était au vieux René, mais il est mort il y a cinq ans. Ça doit être à ses enfants, mais ils l’ont peut-être vendue. En tout cas, personne n’y habite, je peux vous le dire.
Angela décida qu’il était temps de s’allumer une cigarette.
— Juste par curiosité, demanda-t-elle après avoir inhalé une bouffée de nicotine. Vous avez vu des gens se diriger là-bas, plus tôt dans la journée ?
— À la ferme ? s’étonna madame Petit. Non. Je veux dire, il y a des gens qui passent devant pour atteindre le chemin de randonnée, mais c’est tout.
Nouvelle bouffée de tabac. Nouveaux regards vers la ferme, la route qui passait devant, et le détecteur thaumaturgique.
— Et des randonneurs, reprit Angela, vous en avez vu, aujourd’hui ?
— Je n’y fais pas très attention, vous savez ? Il y a eu quelques voitures, oui, mais comme d’habitude.
Angela arbora un petit sourire crispé. Clairement, elle allait devoir jeter un coup d’œil à cette ferme, et ce qu’elle y trouverait risquait de se révéler intéressant.
D’après son expérience, le mot « intéressant » conduisait très rapidement à des emmerdes.
19:38:33
Thomas Dumont n’aimait pas vraiment la montagne. Ça grimpait et ça redescendait tout le temps, il n’y avait jamais vraiment de plat. Surtout que la nana qu’ils poursuivaient avait manifestement choisi de ne pas suivre le chemin tracé, ce qui augmentait encore le coefficient de grimpette. Elle pensait peut-être parvenir à les perdre en passant à travers champs, mais elle n’avait aucune chance. Frank, le limier, hésitait de temps en temps, mais il reniflait un peu et repartait de plus belle.
Derrière eux, Benjamin Muller peinait un peu, avec sa mitraillette et son costard-cravate, dont le bas du pantalon était maintenant nettement moins impeccable qu’une demi-heure plus tôt. Quelles conneries, songea Thomas. On ne se fringuait pas comme ça pour une expédition en montagne. Sans compter que son coéquipier était actuellement au téléphone. Il fallait espérer que l’autre garce n’allait pas leur tomber dessus au milieu de la conversation.
— Je comprends ce que vous dites, Monsieur, lança Muller à son interlocuteur, mais vous devez réaliser que cela risque de s’avérer délicat.
Il y eut une pause, pendant laquelle son correspondant devait parler. Sans doute leur employeur, décida Thomas.
— Bien, Monsieur, fit à nouveau Muller, et il raccrocha.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Notre employeur me signalait à l’instant que, tout bien considéré, il souhaitait que nous ramenions notre cible en vie.
— Chiotte ! s’exclama Thomas.
Ramener les gens en vie, c’était toujours plus compliqué. Sans compter que cette fille était obèse. S’ils la mettaient K.O., ils allaient en chier pour la porter jusqu’à la voiture. D’ailleurs, comment est-ce qu’il se faisait qu’ils ne l’aient pas encore rattrapée ? Elle aurait dû encore plus souffrir qu’eux avec toutes ces montées.
— Ça va vraiment être pratique, la Kalashnikov, pour choper l’autre connasse en vie, railla Thomas.
— Ne vous en faites pas, mon ami. L’AK47 dispose également d’un mode de tir au coup par coup, et il est toujours possible de viser les jambes.
19:41:26
Razor alluma son deuxième pétard, inspira une bouffée, et se mit à tousser. Elle prit le temps de reprendre un peu sa respiration, puis tira une nouvelle fois sur son joint, et parvint cette fois-ci à ne pas s’étouffer.
Elle n’était pas très concentrée sur la route, et se laissait conduire par Tuture. Avec la plupart des voitures, ça n’aurait été qu’une métaphore pour dire qu’elle avait l’esprit ailleurs, mais avec la sienne, c’était sans doute beaucoup plus littéral. Elle faisait souvent cela lorsqu’elle n’allait pas bien, était déprimée ou avait des crises d’angoisse : brûler du pétrole en écoutant de la musique et en regardant défiler les traits blancs de la signalisation routière. Ce n’était pas très écologique, mais elle n’en avait rien à branler.
Razor avait été une sorcière, avant. Elle en était toujours une, techniquement, même si elle n’avait aucune reconnaissance officielle et qu’elle menait une vie tristement banale. Malgré ça, la sorcellerie était en train de la tuer.
Plus exactement, du moins selon les médecins, c’était le tabac qui était en train de la tuer, mais elle était persuadée que l’usage de magie noire y était pour beaucoup. C’était le principe de la magie : ça avait un coût, et même si parfois vous ne vous en rendiez pas compte parce que vous payiez à crédit, les huissiers finissaient toujours par vous retrouver.
Razor avait appris une semaine plus tôt qu’elle avait un cancer du poumon. Les médecins avaient pris beaucoup de pincettes pour lui annoncer la chose. Ils avaient parlé de possibilités de traitements, sorti des chiffres, parlé de taux de survie à cinq ans, chances de rémission, etcaetera. Razor n’écoutait pas vraiment à ce moment-là, et elle avait pris la nouvelle avec philosophie, peut-être même avec un certain soulagement.
Son heure était venue, et ce n’était pas plus mal, l’un dans l’autre. La mort ne lui faisait pas peur. La souffrance, un peu plus, mais elle était, après tout, une sorcière, et si elle était persuadée que la magie ne pouvait pas la sauver, elle pourrait au moins se servir de ses connaissances pour atténuer la douleur. Ça lui semblait, en tout cas, une meilleure option que de passer devant des tas de médecins, de subir des tas de mots en thérapie, et, sans doute le plus impossible à envisager, de devoir arrêter de fumer.
Le problème, c’était de l’annoncer à ses amies. Elle s’était dit qu’elle pourrait profiter de leur séjour à la campagne pour le faire, mais ce n’était pas évident. Elle allait plomber l’ambiance, c’était sûr. Pire, Betty et Karima allaient vouloir la convaincre de se battre, de s’accrocher à la vie. C’était leur genre. Elle ne les voyait pas accepter que leur amie puisse mourir bientôt et, qu’au fond, ce n’était pas un mal et qu’il fallait l’accepter.
Il faudrait bien qu’elle leur dise, pourtant, mais la perspective lui collait des montées d’angoisse, alors pour l’instant elle essayait d’éviter d’y penser et se laissait conduire par sa voiture sur des routes de montagne, en fumant un mélange de tabac et de marijuana qui, maintenant, ne pourrait plus beaucoup empirer sa santé.
19:46:19
Angela n’avait pas eu de mal à rentrer dans ce qui devait être une ancienne bergerie : la porte d’entrée était fracturée. Ce qui plaçait d’emblée le lieu dans la catégorie « choses intéressantes », et l’avait motivée à sortir son pistolet avant de pénétrer à l’intérieur. Elle n’avait plus eu beaucoup l’occasion de le faire, ces derniers temps, et saisir la crosse de son arme dans un tel contexte aurait pu entraîner un sentiment de nostalgie si elle n’avait pas été aussi concentrée à tenter de percer l’obscurité avant qu’une éventuelle menace ne lui fonde dessus.
Cependant, de menace, il n’y avait pas. Il n’y avait personne, et l’endroit était vide. Une fois que ses yeux s’habituèrent au noir, elle remarqua le pentacle tracé sur le sol, avec ce qui était visiblement du sang. Elle n’avait pas besoin de son détecteur thaumaturgique pour savoir qu’elle venait de trouver la source des perturbations.
— Bordel de nouilles ! jura-t-elle.
Un pentacle avec du sang, ça voulait dire de la magie et, pour ce qu’elle en savait, pas de la blanche (même si elle trouvait cette classification assez artificielle). Au vu des effets secondaires dans la chambre de madame Petit, il était probable qu’il ne s’agissait pas d’un groupe d’adolescents gothiques qui s’amusaient à se faire peur avec un truc qu’ils avaient vu sur Internet. C’était du sérieux.
Angela prit le temps d’examiner le reste de l’endroit, sans rien trouver de bien intéressant. Des morceaux de toiture gisaient à terre et les vitres des petites fenêtres sur les murs latéraux étaient cassées, mais elle était pour l’instant incapable de savoir si c’était lié au pentacle et au « poltergeist » de madame Petit ou si c’était juste parce que c’était un vieux bâtiment abandonné.
Elle décida d’inspecter de plus près l’une des fenêtres, afin d’en avoir le cœur net. La première chose qu’elle remarqua fut que l’essentiel des morceaux de verre se situaient à l’extérieur, ce qui laissait penser que c’était bien quelque chose qui s’était passé à l’intérieur qui en était responsable.
La seconde chose que remarqua Angela, c’était les impacts de balles sur le mur, juste à côté de la fenêtre.
— Hé ben, fit-elle à haute voix, on dirait que je suis tombée sur les seuls criminels surnaturels du département.
19:49:34
Thomas Dumont sentit la main ferme de son partenaire sur son épaule, ce qui était probablement une façon de lui demander de s’arrêter.
Il se tourna vers Muller, qui lui désigna du doigt une silhouette qui se distinguait à travers les arbres, environ trois cent mètres en contrebas.
— On dirait que nous avons retrouvé notre fugitive, chuchota ce dernier.
Thomas examina les alentours. Derrière les arbres, il y avait une pente brusque et rocailleuse, suivie d’une sorte de champ. À l’autre bout se trouvait leur cible. Ce qui voulait dire que pour l’atteindre rapidement, il leur faudrait parcourir plusieurs centaines de mètres à découvert.
— Avec ta kalash, tu penses que tu peux la dégommer d’ici ?
Muller s’humidifia un doigt, puis le tint en l’air quelques instants pour évaluer le vent. Thomas était persuadé que ce cirque ne servait à rien et que son coéquipier le faisait uniquement parce qu’il pensait que cela faisait professionnel.
— Je pense que ce n’est pas infaisable, répondit-il. Je vise les jambes ?
— Ouais. Mais prépare-toi à lui courir après si tu la rates et qu’elle essaie de s’enfuir.
Muller prit le temps de s’allonger avant de viser avec sa mitraillette. Il ne s’agissait pas d’un fusil de sniper, mais l’appareil était relativement précis jusqu’à quatre cents mètres. Tout ce qu’il fallait, c’était un bon tireur, et Muller en était un.
Il lui fallait cependant se presser un peu : sa cible arrivait au bout du champ. Après, il y avait probablement un autre talus en pente, et elle serait hors de portée.
Il bloqua sa respiration, visa la jambe de la jeune femme, et fit feu. Une seule fois : il craignait qu’en tirant une rafale, même à cette distance, les exigences de leurs employeurs ne soient plus respectées.
Le coup de feu résonna dans la montagne, et Muller arbora un petit sourire en voyant s’effondrer sa cible. Son sourire se figea, cependant, lorsqu’il réalisa que, dans sa chute, elle n’était pas bêtement tombée au sol, mais avait dévalé le talus, la mettant temporairement hors de portée.
— Merde ! jura Thomas en se mettant à courir vers elle.
Muller se releva en un bond et, son AK47 dans les mains, se précipita à la suite de son collègue.
19:52:51
Betty décida qu’elle avait suffisamment attendu. Elle avait bu une bière, s’était enfilé un paquet de chips et avait compté jusqu’à deux cents dans sa tête : maintenant, elle estimait qu’elle avait le droit d’essayer à nouveau d’appeler Razor sans passer pour quelqu’un de beaucoup trop anxieux.
— Tu sais, fit Karima tandis qu’elle sortait son téléphone, je crois qu’elle a juste envie d’être seule un moment.
— Ouais, répliqua Betty. Et moi j’ai envie d’être rassurée. Alors cette connasse ferait mieux de répondre.
Elle compta les tonalités. Déjà, ça sonnait, ce qui était bon signe : si Razor s’était crashée contre un arbre, elle serait probablement tombée directement sur son répondeur.
— Allô ? fit cette dernière au téléphone.
Betty fut instantanément rassurée, et se dit qu’elle n’avait probablement pas eu de raison de s’inquiéter. C’était le problème : si elle n’appelait pas, elle angoissait, mais si elle appelait, elle se retrouvait un peu idiote.
— Coucou, fit-elle. Ça va ?
— Ouais, ouais. J’avais besoin de prendre l’air, et une petite course à faire. Je rentre bientôt. Désolée, je ne voulais pas t’inquiéter, mais… oh, bordel de merde !
19:54:37
Razor écrasa la pédale de frein et parvint de justesse à ne pas écraser également la jeune femme qui se tenait en plein milieu de la route. Chose qui, juste après un virage, n’était pas exactement une brillante idée.
C’était une nana qui devait avoir une vingtaine d’années. Son âge précis était dur à déterminer à cause des cheveux longs et détachés qui lui couvraient une partie du visage. Plutôt grande, de forte corpulence, elle portait un jean et un tee-shirt et avait l’air dans un sale état. Pour commencer, elle avait du sang plein le tee-shirt et le pantalon, ce qui était rarement bon signe.
Elle était debout, juste devant la voiture de Razor, et se tenait le ventre de la main gauche, tandis que sa main droite était dans son dos, probablement à tâter une autre blessure. Elle fixait Razor avec un regard dément.
— Allô ? fit Betty au téléphone. Allô ?
— Je te rappelle.
Razor raccrocha, et réalisa son erreur. La jeune femme qui était en face d’elle n’avait pas la main droite dans le dos parce qu’elle s’était fait mal, mais pour cacher un pistolet, qu’elle lui braquait maintenant à la figure.
— Écoute, soupira Razor lorsque la jeune femme ouvrit la portière côté passager, lever le pouce, ça aurait suffi.
La jeune femme, qui boitait sérieusement, s’assit à côté d’elle et lui colla le pistolet contre le visage.
— Démarre, ordonna-t-elle.
— Je serais toi, protesta Razor, je pointerais cette chose ailleurs. On se blesse rapidement, avec ces conneries.
— Démarre !
Il y eut une rafale de coups de feu, des bruits métalliques de la carrosserie qui se faisait déchiqueter, et le bang! d’un pneu qui explosait. Razor décida qu’elle n’allait pas se faire prier plus longtemps, et appuya à fond sur l’accélérateur.
19:57:30
Thomas Dumont, tenant toujours le chien en laisse, dévala la pente qui le séparait de la départementale. Muller, un peu devant lui, venait de poser le pied sur le bitume et épaulait son fusil d’assaut pour régler son compte à la Clio qui s’échappait avec leur cible.
— Merde, merde, merde et re-merde ! râla Thomas.
Muller baissa son arme. La voiture devait être hors de portée. Quelle chiotte, songea Thomas. Il n’avait pas calculé que le chemin de montagne et l’excursion à travers champs les ramèneraient sur une route. Maintenant, la garce s’était tirée en braquant une bagnole, et ils étaient à pied, comme des glands.
— Ne vous en faites pas, le rassura Muller.
Thomas jeta un regard éberlué au grand blond dont le costard était maculé de boue et d’herbe. Ne pas s’en faire ? D’accord, ce n’était pas dramatique, ils avaient foiré leur mission, ça arrivait. Mais c’était tout de même emmerdant.
— J’ai endommagé les pneumatiques, reprit Muller. Elle ne pourra pas aller très loin.
— Et nous, répliqua Thomas, on va aller très loin ? Nos voitures sont à une putain d’heure de marche !
Muller tourna la tête. Thomas se demanda pourquoi, puis entendit à son tour le bruit d’un moteur qui se rapprochait.
— La providence, monsieur Dumont, fit Muller avec un grand sourire. On dirait que nous allons avoir un moyen de transport à subtiliser.
Alors que son collègue se plaçait au milieu de la route, s’apprêtant à braquer la prochaine voiture avec son fusil d’assaut, Thomas poussa un soupir. Il était persuadé que le mot « subtiliser » impliquait normalement davantage de finesse.
J’ai beaucoup aimé ! Merci d’avoir pris le temps de sortir cette suite-pas-suite-tome-séparé-autre-aventure !
Juste une question, parce que je suis à peu près aussi subtile qu’Amazon l’était quand il a râlé qu’Enfants de Mars et Vénus commençait par le chapitre 15 : il se déroule la même chose à 3h59 et à 4h00 du matin, ou j’ai raté un truc ?
Argl euh oui c’était un passage censé être déplacé mais qui a été dupliqué oh no
Franchement c’est pas très grave, je me demandais seulement s’il y avait une clé de compréhension supplémentaire cachée dans la répétition et j’étais perdue ^^