(Article mis à jour en janvier 2022, à l’occasion de son transfert sur le nouveau site)
Les seules normes acceptables
Le roman est, bar bien des aspects, un format très conservateur du point de vue de la forme. Les fioritures y sont malvenues, et on se contentera en général d’utiliser le format éprouvé, tandis que tout ce qui en sort sera mal considéré.
Les dialogues sont un bon exemple de cela. On pourrait envisager de nombreuses façons de représenter des dialogues entre personnages : le format « théâtre » , où chaque ligne prononcée est précédée par le nom du personnage qui le prononce, pourquoi pas mettre le contenu de ce qui est prononcé dans un cadre où une bulle façon bande dessinée, un placement différent du texte selon l’interlocuteur (comme dans les discussions sur messagerie), etc.
Mais le roman est quelque chose d’assez figé, et permet au final assez peu d’expériences au niveau de la forme. Si vous voulez faire mumuse, faites du jeu vidéo, un blog, ou je ne sais quoi, mais là c’est de la littérature, c’est du sérieux, on ne fait pas n’importe quoi.
Tout ça pour dire qu’il n’y a, en français, que deux écoles « légitimes » pour la mise en page des dialogues dans les nouvelles et romans : la première, que j’appellerai « classique », qui utilise les guillemets, et la seconde, appelons-la « moderne »[1]J’ai déjà vu utiliser le terme « à l’anglosaxonne », expression qui j’avoue me perplexifie car dans les textes anglais et américains on n’utilise justement que des guillemets et on ne voit … Continue reading, qui s’en dispense, se contentant des tirets cadratins.
Un exemple concret, dans la version « classique » :
« Bonjour, fit-il. Comment allez-vous ?
— Ma foi, pas si mal, répondit-elle. Et vous ?
— On fait aller. »
et la même chose dans la version « moderne » :
— Bonjour, fit-il. Comment allez-vous ?
— Ma foi, pas si mal, répondit-elle. Et vous ?
— On fait aller.
Préférence personnelle
Voilà, voilà, en soi tout cela n’est pas passionnant : ça ne change pas forcément grand-chose et ça dépend surtout du style de l’éditeur. Sauf que quand on s’auto-édite, vu qu’on a aussi ce rôle, on doit bien se poser la question de savoir lesquels on utilise.
Personnellement, j’étais plutôt une traditionaliste adepte des guillemets. Notamment, je trouvais ça intéressant parce que ça permettait de clarifier ce qui relevait ou pas du dialogue dans le cas d’incise longue, ou d’insérer des actions au milieu d’une ligne de dialogue :
« Bonjour », fit-il en enlevant son chapeau, qui manqua de lui glisser des doigts dans le processus. « Comment allez-vous ?
— Ma foi, pas si mal. » Elle s’alluma une cigarette. « Et vous ?
— On fait aller. »
Dans un cas comme ça, je trouve que le passage sur le chapeau qui manque de glisser des doigts rend la première ligne de dialogue un peu difficile à lire sans les guillemets : il faut un effort pour savoir ce qui relève du dialogue ou de la narration (pas un effort colossal, je dois l’admettre, mais je suis une lectrice feignante) :
— Bonjour, fit-il en enlevant son chapeau, qui manqua de lui glisser des doigts dans le processus. Comment allez-vous ?
Par ailleurs, le « Elle s’alluma une cigarette » ne peut pas être inclus tel quel dans la version moderne (ce n’est pas une incise) et nécessite donc de couper le dialogue (ce qui n’est pas forcément un mal, d’ailleurs) :
— Ma foi, pas si mal.
Elle s’alluma une cigarette.
— Et vous ? reprit-elle.
— On fait aller.
Une parenthèse anti-parenthèse
Il y a une alternative au fait de couper le dialogue en plusieurs lignes, qui est de montrer une indication claire que cela ne relève plus du dialogue (ce qui est prononcé par le personnage) mais de la narration :
— Ma foi, pas si mal. (Elle s’alluma une cigarette.) Et vous ?
— On fait aller.
J’ai une opinion assez tranchée sur le sujet : il y a déjà une façon claire d’indiquer que quelque chose relève ou pas du dialogue, c’est des foutus guillemets. Si t’as envie de te débarrasser des guillemets dans les dialogues, d’accord, mais ne va pas les remplacer par quelque chose qui n’est pas adapté parce que ça a déjà un autre sens. Par exemple dans le cas suivant :
— Ma foi, pas si mal. (Et entre nous, pas si bien non plus, hein.) Et vous ?
Est-ce que le « (Et entre nous, pas si bien non plus, hein.) » est prononcé par le personnage, les parenthèses servant à une indication de ton ? Est-ce que c’est le narrateur qui indique que le personnage ne va pas si bien ? Ben, ON SAIT PAS.
Vous me direz, on peut trouver autre chose que les parenthèses, ajouter une autre façon (par exemple les italiques) pour indiquer qu’on sort du cadre du dialogue, mais ça ne change rien au problème principal : on a quelque chose qui est fait pour ça, et c’est les guillemets. Si tu te retrouves à devoir mettre des parenthèses à la place, c’est peut-être que tu devrais utiliser l’autre méthode pour la mise en page des dialogues. Et si tu ne veux pas mettre de guillemets, soit, mais dans ce cas il faut un minimum d’adaptation.
Bon, en vrai vous faites ce que vous voulez, hein, je ne juge pas, je dis juste que c’est de la merde.
Une expérience sans guillemets
Quand j’ai corrigé un peu Sorcières & Zombies à l’époque de la rédaction de la première version de cet article, j’en ai profité pour passer à cette méthode « moderne », sans guillemets (et sans parenthèses non plus (enfin, pour marquer qu’il ne s’agit pas du dialogue, sinon je n’ai rien contre les parenthèses)). Je voulais voir ce que ça donnait et ce que je devais changer.
Et, au final, ça ne change pas grand chose : pour 80% (estimation pifométrique) des lignes de dialogues, un « chercher/remplacer » était suffisant. Mais il y avait les soucis dont je parlais au-dessus, d’incises trop longues et d’actions au milieu des dialogues.
Et ce qui est intéressant, en devant adapter ces cas-là, c’est que je me suis rendue compte que ce n’était pas juste un souci de forme, mais que ça influençait un peu sur la façon d’écrire. Pour reprendre l’exemple avec l’incise trop longue :
« Bonjour », fit-il en enlevant son chapeau, qui manqua de lui glisser des doigts dans le processus. « Comment allez-vous ?
— Ma foi, pas si mal. » Elle s’alluma une cigarette. « Et vous ?
— On fait aller. »
Bon, on voit que l’incise est trop longue, donc on en fait une action à part :
— Bonjour, fit-il.
Il enleva son chapeau, qui manqua de lui glisser des doigts dans le processus.
— Comment allez-vous ?
Ah, mais là ça ne va plus trop, parce que le tiret cadratin, normalement, indique une alternance, et là c’est la même personne qui parle alors que rien ne l’indique. Résultat, à la lecture, on pourrait croire que c’est à lui qu’on pose la question « Comment allez-vous ? ». Pour régler ça, on pourrait se contenter d’un truc genre « reprit-il » ou « continua-t-il », mais il ne faut pas en abuser (et on va peut-être déjà en avoir besoin en-dessous), donc faisons en sorte que ce soit clair d’une autre façon :
— Bonjour, fit-il.
Il enleva son chapeau, qui manqua de lui glisser des doigts dans le processus. Il tâcha de ne pas se laisser décontenancer et poursuivit :
— Comment allez-vous ?
— Ma foi, pas si mal.
Elle s’alluma une cigarette.
— Et vous ? demanda-t-elle.
— On fait aller.
Ha, mais une seconde. Vous ne trouvez pas que ce « Elle alluma sa cigarette » fait un peu cheap, maintenant ? Quand c’était au milieu d’une ligne de dialogue, ça passait bien, mais là avec son paragraphe à part ça fait quand même un peu radin, on serait tentée d’étoffer un minimum :
Elle sortit un briquet Zippo doré d’une poche de son blouson en cuir et s’alluma une cigarette. Elle prit le temps de savourer une bouffée de tabac avant de demander :
— Et vous ?
Bon, je concède que c’est un exemple un peu bidon, mais vous voyez un peu l’idée : en passant uniquement d’une différence sur la mise en forme, ça entraîne des changements dans le texte lui-même, avec moins de participes présents (« en enlevant ») mais plutôt des verbes d’actions (« il enleva »), avec peut-être des descriptions étoffées à certains endroits ou à l’inverse supprimées à d’autres.
La forme influence le fond
Évidemment, quand j’ai fait ce changement de mise en forme, ça n’a entraîné que des modifications mineures, mais j’ai tout de même l’impression que si j’avais utilisé directement cette façon de mettre en page les dialogues au moment de l’écriture, il y aurait eu plus de différence.
Depuis la rédaction de la première version de cet article, j’ai utilisé cette approche « moderne » pour un certain nombre de romans, en partie parce que j’avais l’impression que ça me forcerait à éviter l’abus de participes présent et à mettre un peu plus de descriptions au milieu des dialogues, choses qui ne feraient pas de mal à mes textes.
Je prenais ce choix de mise en forme des dialogues, entre école « classique » et « école moderne », uniquement sous l’angle esthétique et de la mise en page, mais au final j’en suis venue à de changer de façon de faire non pas uniquement pour ces raisons, mais pour ce que ça implique[2]Sans être sûre de cerner tout ce que ça implique exactement. sur la façon d’écrire ces passages de dialogues.
Si je fais le bilan depuis, est-ce que ça a changé grand-chose à ma façon d’écrire ? Probablement pas tant que ça, mais un peu quand même.
Et puis, depuis, je me suis amusée dans quelques expériences à faire des dialogues absolument verboten dans un roman, notamment avec des fictions interactives ou des visual novels (que je n’ai jamais achevées, mais peu importe), et, là encore, le changement de forme, que ce soit avec les contraintes ou au contraire les nouvelles possibilités offertes, impacte nécessairement un minimum sur la façon d’écrire.
Bref, je sais bien que j’invente pas l’eau chaude dans ce billet, mais je voulais juste partager cet exemple de comment une simple façon de mettre en forme peut avoir plus d’impact qu’on ne le croit.
Notes
↑1 | J’ai déjà vu utiliser le terme « à l’anglosaxonne », expression qui j’avoue me perplexifie car dans les textes anglais et américains on n’utilise justement que des guillemets et on ne voit jamais de tirets cadratins. |
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↑2 | Sans être sûre de cerner tout ce que ça implique exactement. |
C’est très intéressant. Cependant, lorsqu’il s’agit d’une traduction d’un dialogue comportant une action à l’intérieur du dit dialogue, il est souvent impossible de réécrire le texte pour utiliser une approche moderne.