En temps qu’adepte de Tetris, j’avais entendu parler de la série de jeux Tetris The Grand Master depuis un moment déjà mais, si j’avais pu regarder des démonstrations impressionnantes, je n’avais jamais eu l’occasion de m’y essayer. Et ce, pour une raison assez simple : il n’était, jusqu’ici, pas facile de s’essayer à cette série de jeux.
Une pépite jusqu’ici réservée au Japon
Tetris The Grand Master (ou TGM) est, en effet, une série de jeux vidéos sortie exclusivement, non seulement au Japon, mais surtout en arcade. En effet, si en occident nous connaissions la série de jeux Tetris surtout pour ses versions sur console, avec la version NES et surtout la version Game Boy vendue avec la console (ainsi que quelques versions PC oubliables, du moins pour les jeux commerciaux), au Japon le jeu était également populaire dans les salles d’arcades, avec une version publiée par Sega en 1988.
C’est cette version qui a beaucoup influencé Tetris The Grand Master, sorti dix ans plus tard, ainsi que ses deux suites, sobrement intitulées Tetris The Absolute The Grand Master 2 (« upgradée » quelques mois plus tard en Tetris The Absolute The Grand Master 2 PLUS – une pratique de mise à jour des jeux devenue assez courante depuis mais qui impliquait ici de proposer à tous les clients ayant acheté le jeu de changer leur circuit imprimé), en 2000, et Tetris The Grand Master 3 Terror-Instinct, en 2005.
Comme les noms l’indiquent peut-être déjà un peu, cette série de jeux développés par Arika (qui a, plus tard, également réalisé le Tetris 99 sur Nintendo Switch) met l’accent sur le challenge, une difficulté corsée et un rythme endiablé.
Là où les autres parties de Tetris peuvent facilement s’éterniser, celles de TGM sont plutôt courtes (il s’agit après tout d’un jeu d’arcade destiné à avaler vos pièces goulument). Surtout, il y a une fin déterminée, puisque chaque pièce posée et chaque ligne fait augmenter le « niveau » de 1, l’objectif étant de survivre jusqu’au niveau 999 en faisant assez de points et surtout en terminant le plus vite (du moins, si vous faites partie des tetris grand master ; pour le commun des mortels, il s’agira surtout d’essayer de survivre le plus loin possible).
Le fait qu’un jeu ne soit pas sorti du Japon n’empêche pas forcément complètement d’y jouer : l’import est une solution légale (quoique la plupart des jeux préviennent que leur utilisation hors Japon n’est pas autorisé), et l’émulation d’une version piratée est hors-la-loi mais loin d’être impossible pour autant.
Sauf qu’on parle ici de jeux d’arcade, ce qui rend le prix d’une version physique absolument prohibitif (une recherche rapide me montrait des résultats autour de 1500$ pour le circuit imprimé). L’émulation est certes plus accessible mais, si le projet Mame permet d’émuler des machines d’arcade, cela reste loin d’être aussi simple à mettre en place que pour la plupart des consoles de jeux.
Cela n’a pas empêché cette série d’obtenir petit à petit un certain statut culte au sein d’une niche de la communauté Tetris, en raison de sa vitesse intense et de sa difficulté relevée, le moment lors du générique de fin (où il faut néanmoins continuer à jouer) où les briques deviennent invisibles sitôt posées au sol (à condition d’avoir obtenu un score suffisant) ayant sans doute contribué au buzz, de même que les démonstrations impressionnantes réalisées à différents évènements de speedrun comme la SGDQ (Summer Games Done Quick).
Une sortie sur consoles inespérée
Les choses ont néanmoins changé avec la sortie sur Switch et Playstation 4, dans la collection Arcade Archives d’Hamster Corporation, de Tetris The Grand Master en décembre 2022, puis de Tetris The Absolute The Grand Master 2 PLUS en juin 2023.
Je n’ai acheté aucun de ces jeux au moment de leur sortie, puisque celle-ci n’a pas fait autant de buzz que d’autres jeux pourtant plus mineurs comme Hogwarts Legacy, Baldur’s Gate 3 ou Starfield. Mais j’ai tout de même fini par être au courant et, n’ayant jusqu’ici que cinq versions de Tetris différentes sur ma Switch, j’ai bien évidemment acheté les deux, pour voir pourquoi les gens en parlaient autant et s’il y avait vraiment quelque chose de spécial.
Je m’attendais à une expérience plaisante (forcément, c’est Tetris), avec des musiques et des effets sonores un peu punchy, mais pas non plus à être complètement éblouie.
J’avais tort.
Un mot sur Tetris
Je n’ai pas jusqu’ici parlé de Tetris, parce que je ne pense pas que ce jeu nécessite vraiment une présentation : il y a des briques qui tombent, et il faut les empiler pour faire des lignes. Lorsqu’une ligne est complète, elle disparait. Lorsque quatre lignes disparaissent en même temps, cela s’appelle un tetris et cela fait beaucoup plus de points. Vous connaissez probablement.
Je connaissais jusqu’ici deux grandes familles de Tetris : la première, c’était celle que j’avais connue sur la NES ou sur Game Boy, communément appelé « Tetris Classique », et la seconde, « Tetris Moderne » qu’on retrouve dans tous les jeux récents (d’autant plus que The Tetris Company impose un certain nombre de critères pour qu’un jeu puisse s’appeler Tetris — ou parfois simplement pour qu’un jeu puisse exister, mais cela nécessiterait un article séparé – ce qui fait que c’est aussi parfois appelé Guideline Tetris), comme Tetris 99, Puyo Puyo Tetris, ou encore Tetris Effect (qui propose néanmoins dans sa version Connected, pas une mais bien deux — NTSC et PAL, puisque le jeu sorti en Europe était assez différent — versions Classic en tous points identiques aux versions NES).
Si le principe du jeu reste le même dans les deux cas, ces deux approches se jouent très différemment.
La version « classique » est finalement assez lente, puisque les pièces tombent vers le sol à une vitesse somme toute assez réduite. Cela ne veut pas dire que le jeu est facile pour autant, parce qu’il ne pardonne pas : dès que votre pièce qui tombe en touche une autre, elle se bloque (ou lock) immédiatement, ce qui non seulement rend les erreurs beaucoup plus faciles, mais aussi le placement des pièces à peu près impossibles (sans rentrer dans des barbareries que je ne préfère pas parler) dès que les pièces descendent d’une case toutes les frames.
À l’inverse, la version « moderne » est en apparence beaucoup plus rapide, puisque les pièces peuvent tomber à un rythme effréné. En contrepartie, le jeu est beaucoup plus permissif, et permet de continuer à positionner ses pièces relativement facilement même lorsque les pièces chutent instantanément tout en bas de l’écran. C’est possible essentiellement parce que, contrairement à la version « classique », les pièces ne se bloquent pas instantanément, et il est donc possible pendant un petit intervalle de temps de les faire glisser ou tourner. Le système de rotation est lui aussi beaucoup plus permissif, permettant de faire tourner des pièces dans des configurations où ce ne serait pas possible sur NES, et allant jusqu’à permettre à des pièces de « remonter les escaliers » si vous effectuez la bonne série de rotations.
En temps que boomeuse, mon premier contact avec cette approche était dans la version DS de Tetris, Tetris DX, et ma première réaction était de m’écrier « mais c’est de la triche ! ». Il n’en reste pas moins que cette version reste particulièrement sympathique à jouer en mode versus, par exemple dans Tetris 99 ou Puyo Puyo Tetris.
Il y a d’autres différences, comme la répartition aléatoire des pièces, ou encore le fait que les versions modernes proposent en général de prévisualiser plus de pièces et une mécanique de hold (qui permet de garder une pièce en stock pour l’échanger contre une autre), mais je pense que c’est la principale reste ce système de lock.
Entre classicisme et modernité
Revenons-en à Tetris The Grand Master. Ma surprise, en lançant ce jeu, était de découvrir une version de Tetris située à mi-chemin entre ces deux précédentes. Les pièces tombent vite, beaucoup plus vite que dans un Tetris « classique », et même apparaissent assez vite instantanément tout en bas. C’est possible parce que le jeu est évidemment plus permissif qu’un Tetris « classique ». Il n’est, pour autant, pas aussi permissif qu’un Tetris moderne : les pièces ne se bloquent certes pas immédiatement, mais le délai de lock reste assez court et n’est pas réinitialisé lorsque la pièce est déplacée.
C’est la même chose pour la rotation des pièces : contrairement à une variante « moderne », elles limitent beaucoup plus la façon dont vous pouvez disposer de vos pièces. Lorsque la vitesse de chute devient trop importante, il est donc vital de construire sa pile de façon stratégique pour ne pas se retrouver bloqué·e, avec une opportunité de faire un Tetris, une ligne I qui débarque, mais l’impossibilité de la faire glisser dans le puits.
The Grand Masterclass
Cette approche est déjà suffisante pour donner un petit vent de fraicheur à quelqu’un qui a pratiqué un bon nombre de Tetris mais jamais dans les salles d’arcades nippones, mais il y a un certain nombre de choses qui font que je trouve que ce Tetris est l’une des versions les plus agréables à jouer.
Rotation
Tout d’abord, si le système de rotation est moins permissif que les Tetris modernes, le jeu vous offre en contrepartie un outil puissant, appelé IRS (Initial Rotation System), qui vous permet de faire en sorte que la pièce apparaisse déjà tournée si vous laissez appuyé sur le bouton au moment où elle apparait. Cela permet également de « pré-saisir » une direction si vous voulez envoyer une pièce tout à gauche ou tout à droite, ce qui évite d’avoir à « tapoter » le bouton de direction de manière répétée comme sur la version classique.
Translation
TGM 2 ajoute aussi un mécanisme d’instant drop, qui permet de faire immédiatement chuter une pièce tout en bas. Mécanisme qu’on retrouve dans tous les Tetris modernes (et certains beaucoup plus anciens), mais avec un petit twist : contrairement à tous les autres Tetris auxquels j’ai pu jouer proposant cette mécanique (généralement appelée hard drop), dans TGM 2, lorsque vous appuyez sur la flèche haut, la pièce ne se bloque pas (ce qui fait que ce mécanisme est généralement appelé sonic drop et pas hard drop).
Au début, j’étais un peu décontenancée, et je trouvais cela plutôt pénible : pour faire tomber les pièces rapidement, il ne faut pas juste appuyer sur la flèche haut, mais faire haut puis bas en succession.
Cependant, j’ai vite découvert l’intérêt de cette approche : lorsque vous devez faire glisser une pièce sous une autre, vous pouvez faire « haut » (pour faire chuter la pièce), puis « gauche » (pour la faire glisser), puis « bas » (pour la verrouiller). Un mouvement apparemment appelé zangi-move dans la communauté, en référence à l’obscur jeu de combat Street Fighter II.
Percussion
En plus du gameplay, j’ai beaucoup apprécié les qualités sonores du jeu. Les musiques vous plairont ou pas, mais la façon dont elles transitionnent lorsque la difficulté augmente est en tout cas bien fichue.
Surtout, ces jeux ont la particularité d’abuser d’effets sonores lorsque chaque pièce apparait, avec un son différent pour chaque pièce. Ce qui, certes, donne un son qui peut vite être quelque peu cacophonique à vitesse élevée, mais donne aussi des informations sur le jeu qui ne passent pas que par le visuel. J’ignore si des gens en ont profité pour pousser le mode invisible dans ses derniers retranchements, en ne jouant que par le son ; j’en suis loin d’être à ce niveau-là.
Quelle version prendre ?
Bref, si vous êtes un tout petit peu intéressé·e par Tetris, je vous recommande chaudement d’essayer Tetris The Grand Master. Ou, plus exactement, Tetris The Absolute The Grand Master 2 PLUS.
En effet, les deux versions sont vendues séparément, chacune pour 6,99€. Et le second opus est beaucoup plus complet que le premier, avec plus de modes de jeux (notamment un mode deux joueurs en coopération apparemment compliqué à faire à deux — mais je me demande si en prenant un joypad dans chaque main il est possible de jouer deux pièces en même temps… à un seul joueur ? 🙀), la mécanique de sonic drop en plus, etc.
Comme dirait l’autre, si vous ne devez en prendre qu’un, la question est vite répondue. Si vous êtes, comme moi, absolument accro à Tetris, vous aurez probablement envie de prendre les deux parce que le premier n’est quand même pas tout à fait inclus dans le second, mais c’est honnêtement assez dispensable.
Et la suite ?
Tetris The Grand Master a également connu, en arcade, une troisième version, intitulée Terror Instinct. Pour l’instant, celle-ci n’est pas disponible sur console. Si on peut espérer qu’elle sorte également, parce qu’elle ajoute un certain nombre de choses et de modes de jeux, c’est également une version un peu différente des deux premiers, avec la prévisualisation de plusieurs pièces, une mécanique de hold, etc. qui la rapproche un peu plus des Tetris modernes.
Je me précipiterai évidemment dessus si elle vient à sortir, mais ces différences font que cela n’aurait pas de sens de se dire « je vais attendre que le 3 sorte, pas la peine de prendre le 2 ».
Que change la version Arcade Archives ?
Au passage, notons quelques petits ajouts apportés par la version Arcade Archives : d’abord, en plus de sauvegarder votre score localement (comme sur une bonne d’arcade), vous aurez aussi la possibilité de publier vos scores et de les comparer dans un leaderboard en ligne. Il n’y a malheureusement pas de mode multijoueur en ligne ni de gros ajout.
Au niveau de la technique, je ne suis pas assez spécialiste pour évaluer la qualité de l’adaptation. Il est certain que le jeu ne tourne pas à 61,68 frames par seconde comme l’original (oui, j’ai vérifié en mettant un chrono à côté de celui du jeu) et n’est donc pas strictement arcade perfect, et les puristes se plaindront évidemment un peu de l’input lag, mais étant habituée à jouer à des jeux sur des machines modernes, avec parfois (horreur) des manettes connectées en bluetooth, je n’ai rien remarqué de choquant.
Les clones
Si vous ne voulez pas mettre 6,99€ dans un Tetris, si vous n’avez pas de PS4/5 ou de Switch, ou encore si vous vous intéressez aux jeux de blocs qui tombent qui n’ont pas le droit de s’appeler Tetris à cause de The Tetris Company, sachez qu’il existe un certain nombre de jeux qui reproduisent fidèlement les mécaniques de jeux de The Grand Master. Même si je ne l’ai pas (encore) testé, Cambridge semble être celui qui est le plus populaire actuellement (et la page liste un certain nombre d’alternatives si vous préférez).
Dans tous les cas, si vous vous intéressez un minimum à Tetris, vous n’avez aucune excuse pour passer à côté de cette pépite, sous une forme une autre.
Addendum
Vous vous demandez peut-être ce que fait cet article sur ce site, d’habitude plutôt consacré à mes textes de fiction. La raison est évidemment que j’avais envie d’écrire cet article, et que je n’avais envie ni de créer un site à part juste pour un article, ni d’essayer de chercher un site de jeux vidéos qui l’accepterait.
Ou peut-être que vous découvrez ce site via cet article. Dans tous les cas, n’hésitez pas à me dire si vous aimeriez voir plus d’articles consacrés aux jeux vidéos en général et pourquoi pas à Tetris en particulier (j’ai peut-être une ou deux autres idées sur ce sujet), ou au contraire si vous estimez que ça n’a rien à faire sur le site d’une écrivaine digne de ce nom (ce que je ne suis clairement pas, de toute façon).
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