Ça y est, on est en novembre, mois du NaNoWriMo — National Novel Writing Month, défi qui consiste à écrire un roman (en tout cas, 50000 mots, ce qui fait un petit roman) en un mois. Je suis d’habitude assez réticente à ce genre de défis un peu stakhanovistes, mais comme ma productivité littéraire est un peu au point mort ces dernières années, je me suis dit que j’allais essayer d’y participer, sans forcément atteindre la barre fatidique des 50000, en sachant que ce serait de toute façon toujours mieux que rien.
Voilà donc l’introduction du projet sur lequel je travaille, qui a pour l’instant comme working title « 8–9‑3 ». Il est évidemment tout à fait incertain que cela se concrétise en un vrai roman, ni en un texte achevé, mais je me suis dit que je pouvais déjà au moins partager ça. Si vous avez des retours, n’hésitez pas, ce qui rend le travail d’écriture particulièrement compliqué c’est qu’il est très solitaire et qu’on a en général des critiques uniquement des années après que le texte initial ait été rédigé.
8–9‑3
お前にひとつ良いこと教えていてやる。極道ってのはなあ ボクシングとは 違え。喧嘩に負けたヤツが敗者になるんじゃねえ。最後まで 「張り続けら れなかった」ヤツが負けるんだよ。
(久瀬 大作)
Je vais t’apprendre un truc intéressant. Dans le monde des yakuzas, ce n’est pas comme à la boxe. La personne qui s’écroule, ce n’est pas elle qui perd. Celle qui perd, c’est celle qui ne peut pas tenir jusqu’au bout.
(Daisaku Kuze)
Le coup de pied me cueille dans les côtes et j’étouffe un gémissement de douleur.
— Ça t’apprendra à te mêler de ce qui te regarde pas, dit le type au bout du pied.
Un homme moyen-grand, avec des cheveux bruns et une petite barbiche. De carrure sportive, je l’appelle l’Équilibré.
Ils sont trois à me tabasser, et on croirait le choix de personnages dans un vieux jeu de castagne à l’époque de la Megadrive : il y avait toujours un personnage d’Équilibré, un Bourrin plus lent mais qui frappait plus fort, et un (souvent une) Agile qui se distinguait par sa rapidité plus que par la puissance de ses coups.
En l’occurrence, le Bourrin est un type énorme au crâne rasé qui fouille mon portefeuille, et l’Agile une personne svelte aux cheveux bruns un peu plus longs en sidecut avec un perfecto noir.
Pour l’instant, c’est surtout l’Équilibré qui m’a cogné.
— Naomi, hein ? demande le Bourrin.
Je me dis que c’est le bon moment pour tenter une bravade.
— Si vous pensez me déstabiliser en m’apprenant mon prénom, vous vous rendez compte que je le connais déjà, hein ?
J’en ai profité pour essayer de me redresser un peu. Mauvaise idée. En représailles, l’Agile m’envoie un nouveau coup de pied, qui me fait bizarrement plus mal que ceux de l’Équilibré. Peut-être parce qu’iel frappe plus fort, ou peut-être juste à cause des rangers coquées.
— C’est pas le moment de faire la maligne.
Malheureusement pour elle, Naomi ne brillait pas forcément par sa capacité à savoir quand il ne fallait pas faire la maligne. De manière générale, ses aptitudes à appréhender correctement la réalité étaient assez discutables. Sinon, elle ne se serait probablement pas retrouvée là, en pleine nuit, en train de se faire dérouiller sur un bord de départementale mal éclairée.
Pendant qu’elle se tortillait de douleur, le plus grand continuait à examiner sa carte d’identité.
— Ou « le malin », ajouta-t-il. Le sexe sur la carte d’identité…
— Wow, wow, l’interrompit immédiatement la personne qui venait de donner le coup de pied. On va vraiment partir sur des attaques transphobes ?
L’homme au crâne rasé haussa les épaules.
— Rien de personnel, mais je me disais qu’on pouvait utiliser un côté plus psychologique.
— Je suis pas du genre à invoquer le code d’honneur en permanence, mais, et quoi, après ? On va aussi se mettre aux agressions sexuelles ?
— Je pense qu’on peut éviter tout ça, trancha le troisième homme en regardant la jeune femme qui était à ses pieds. Je dirais qu’elle a compris la leçon.
C’était, cependant, une hypothèse clairement optimiste, car Naomi essayait une nouvelle fois de se relever.
— Et trois contre un, c’est dans le code d’honneur ? demanda-t-elle avec défi.
L’Agile se vexe et se penche immédiatement sur moi pour placer une main autour de mon cou.. De l’autre, iel tient une lame qui a surgi de nulle part et brille des reflets de la lune.
L’Équilibré, lui, soupire.
— Tu ne sais vraiment pas quand te taire, hein ?
— Tu as peut-être cru qu’il s’agissait d’un combat loyal en un contre un ? demande l’Agile en me fixant avec des yeux qui sont peut-être plus menaçants que sa lame. On est juste venu·e·s te coller une petite raclée d’avertissement, parce qu’on est gentil·le·s et qu’on ne veut pas directement passer aux choses trop sérieuses. Mais peut-être que je devrais te couper la langue pour éviter que tu la remues ?
— Oh, raille le Bourrin. Alors, les allusions transphobes, c’est over the line, mais le couteau et les mutilations c’est friendly ?
L’Agile fait un tsk avec sa langue.
— On rediscutera de ça quand on sera seul·e·s, tu veux bien ?
Iel reporte ensuite son attention sur moi.
— Maintenant, tu dis gentiment « j’ai compris » et on passe à autre chose.
— Compris quoi ? Vous pensez me faire peur ?
Cette fois ci, c’est iel qui soupire et, d’agacement, m’envoie son poing à la figure avec la main qui tenait le couteau. Ça assome, mais au moins, iel ne m’a pas effiloché.
— J’ai une idée, commente le Bourrin. C’est un peu psychologique, mais pas over the line.
***
Thibault gara sa Mazda MX‑5 à côté des conteneurs à poubelles, puis fit le tour de son véhicule, ouvrit le coffre, et attrapa le cabas contenant les emballages.
Ce n’était d’évidence pas l’heure à laquelle les gens étaient supposés aller poser leurs ordures, car le lampadaire le plus proche était à une bonne vingtaine de mètres et n’éclairait du reste que moyennement bien. Thibault s’était fait avoir l’autre fois, lorsqu’il était venu à pied et avait dû faire le tri entre les plastiques et le verre à la lumière de son téléphone.
Cette fois-ci, il avait prévu le coup : il était venu en voiture, et s’était placé de sorte à ce que les phares l’éclaire durant sa tâche. Il aurait aussi pu venir plus tôt, mais il avait des horaires assez décalés ces derniers jours et ne pensait à vider ses déchets que lorsque cela débordait.
Entre deux bruits de bouteilles de verre qui se fracassaient contre le sol, il entendit une série de coups. Thibault sursauta d’abord, puis se rassura en se disant qu’il ne s’agissait sans doute que d’une bestiole nocturne qu’on ne croisait pas en ville. Il avait même, une fois, entraperçu un faon, ou un chevreuil, ou un daim — Thibault n’était pas très calé en cervidés — dans le jardin du chalet familial.
— Ohé ? Il y a quelqu’un ?
Cette fois-ci, Thibault se figea. Clairement, il ne s’agissait pas d’un des animaux habituels qui le faisaient sursauter lorsqu’il se promenait la nuit.
Thibault posa précautionneusement son cabas à emballage, et sortit son téléphone de son sac banane en cuir, afin d’activer le mode torche.
— Ohé !
C’était bien une voix. Elle semblait provenir du petit local qui abritait les conteneurs pour les poubelles non recyclables.
— Il y a quelqu’un ? demanda Thibault, avant de réaliser qu’il s’agissait d’une question stupide à la réponse évidente.
Alors qu’il approchait prudemment, il entendit un gros bruit suivi de jurons :
— Oh, merde, purée !
Thibault poussa la porte branlante du local et vit qu’un des trois gros conteneurs à poubelles était renversé, son contenu étalé sur le sol. Le contenu en question consistait en quelques sacs poubelles remplis et, plus étonnant, une jeune femme qui se tenait présentement à quatre pattes et avait des difficultés à se relever, ce qui s’expliquait en partie par le fait que des sacs poubelles épars ne forment pas exactement une surface très stable.
— Bonjour, fit un Thibault perplexe sans trop savoir si c’était le genre de choses qui se disaient en de telles circonstances. Vous voulez un coup de main ?
La jeune femme lui jeta un regard également perplexe, et lui rendit son bonjour en acceptant la main qu’il lui tendait. Elle avait des cheveux bruns attachés — même si certaines mèches étaient présentement décoiffées —, une veste tailleur sombre, et du sang sur le visage. Il s’agissait bien évidemment de Naomi, aussi on évitera de continuer à la nommer par périphrases.
— Désolée du dérangement, s’excusa-t-elle. C’est juste que c’est compliqué de sortir de ces machins-là.
— C’est vrai, admit Thibault par réflexe, avant de réaliser qu’il venait de dire cela comme s’il s’extrayait régulièrement de poubelles.
Il restait un peu abasourdi, d’autant plus qu’il lui semblait évident que la femme qui se tenait en face de lui n’était pas juste en train de faire les poubelles. Celle-ci, cependant, commençait à s’écarter sans lui prêter attention.
— Euh, excusez-moi, fit-il en commençant à la suivre. Vous allez bien ?
— Oui, et vous ? répondit machinalement Naomi.
Elle continuait à marcher un peu le long de la route, et Thibault se demanda quoi faire. Il ne voulait pas laisser quelqu’un de blessé sans assistance, mais il s’écartait un peu de sa voiture sur laquelle il avait laissé le contact, ce qui n’était guère prudent.
— Vous ne voulez pas que j’appelle les secours ?
À son soulagement, Naomi s’arrêta et commença à regarder aux alentours, visiblement à la recherche de quelque chose.
— Non, pourquoi ? demanda-t-elle.
Thibault hésita sur ce qu’il pouvait répondre. « Vous sortez d’une poubelle depuis laquelle vous appeliez » ? Elle le savait. « Les gens qui vont bien ne sortent pas d’une poubelle en pleine nuit » ? C’était peut-être le genre de choses qui ne se disaient pas.
— Vous avez du sang sur vous, finit-il par dire.
Naomi se passe une main sur le visage, puis jura.
— Oh, merde.
Elle ne s’attarda cependant pas dessus, et embraya aussitôt :
— Vous pourriez éclairer par là ?
Thibault s’exécuta, ravi d’avoir des ordres précis à suivre, et éclaira la zone avec la lumière de son téléphone.
— Ah ! s’exclama Naomi, avant de se diriger vers une tache sombre au sol.
Un sac, visiblement.
— Pas de téléphone, évidemment, maugréa-t-elle.
— Je m’appelle Thibault, fit Thibault sur une impulsion.
Il le regretta aussitôt. Ce n’était sans doute pas le moment. Il aurait sans doute dû se présenter plus tôt, ou profiter de l’instant propice.
— Naomi, répondit Naomi. Merci pour la lumière. Bonne soirée !
Elle venait clairement de le congédier. Sur le fond, ça ne lui posait pas de problème, mais il était tout de même embêté à l’idée de la laisser repartir seule dans cet état.
— Vous ne voulez pas au moins que je vous dépose quelque part ?
Naomi lui jeta un air surpris, puis se tourna vers sa décapotable rouge.
— Je ne voudrais pas salir votre voiture. Ne vous en faites pas, je ne vais pas très loin.
Il resta coi quelques instants, tandis qu’elle lui tournait le dos et commençait à s’écarter.
— Vous vous foutez de moi, hein ? demanda-t-il finalement.
Naomi s’arrêta et se retourna.
— Pardon ?
— Vous pensez vraiment que mon plus gros souci actuellement, c’est la propreté de ma voiture ? s’emporta-t-il. Je veux dire, si vous ne voulez pas être seule en bagnole avec un type louche, je peux comprendre. Et je ne voudrais pas insister. Mais on se fout de la propreté de ma voiture !
Naomi l’écoutait, l’air un peu amusée.
— Ok, fit-elle.
— Ok ? demanda Thibault.
— Ok, je veux bien un trajet en voiture, si vous vous foutez de sa propreté. Je crois que j’ai un caillou dans la chaussure.
Thibault soupira de soulagement.
— Merci, dit-il. Ça me tranquilise.
Ils retournèrent tous les deux vers la voiture, Naomi semblait amusée par l’inquiétude de Thibault. Lorsqu’elle s’installa sur le siège passager, et qu’elle put se regarder dans le miroir de courtoisie, éclairée par la petite lumière de l’habitacle, elle comprit mieux pourquoi. En plus d’un saignement d’origine indéterminé, elle avait un sérieux début de cocard sur le visage.
— Merde, fit-elle, avant d’examiner ses vêtements. Merde, merde.
— Vous ne voulezpas que je vous emmène aux urgences ? demanda Thibault.
— Non. Ce dont j’ai besoin, c’est d’une douche.
Thibault démarra. Il était conscient d’abandonner le reste de son cabas d’emballages, mais il lui semblait que ce n’était pas le moment opportun. Il se promit de repasser au retour.
— Je suppose, lança-t-il aventureusement sur le ton de la conversation, que ça ne se fait pas de vous demander ce qui vous est arrivé ?
— Oh, répondit Naomi avec nonchalance. C’est le genre de choses qui arrivent, quand on mène la vie de yakuza.
Hello Lizzie,
J’ai été un peu déconcerté par les changements de personne dans la première partie (passage de la première personne à la troisième, puis retour à la première), mais ça démarre fort et je suis impatient de découvrir la suite !
Merci du retour ! Pour le changement de narration, c’est une expérience, je ne sais pas si ce sera forcément gardé pour une version finale 🙂
C’est une idée intéressante, ces changements de point de vue façon cinéma. Mais pour que ça passe mieux à l’écrit, à mon avis, il faudrait peut-être jouer sur la mise en forme. Par exemple, afficher en italique les passages où c’est Naomi qui s’exprime ?