Au Canada, le gouvernement a annoncé interdire l’importation du Flipper Zero pour réduire les vols de voitures. En France, il refuse de publier le code source de Parcoursup, en mettant en avant de nombreuses failles de sécurité. Ces deux cas relèvent de ce qu’on appelle la sécurité par l’obscurité. À moins que ça ne soit l’inverse ?
Le Canada, Flipper Zero et les voitures
Après une recrudescence de vol de voitures, le gouvernement canadien, via la voix (ou plutôt un tweet) de son ministre de l’innovation, des sciences et de l’industrie, a :
annoncé que nous interdisions l’importation, la vente & l’utilisation de dispositifs de piratage, comme les “flippers”.
François-Philippe Champagne, sur Twitter
Le Flipper Zero est un petit dispositif plutôt mignon, qui ressemble à l’enfant d’une clé USB et d’un tamagotchi, qui se présente comme un « appareil multi-outils pour geek » et est un engin pratique pour faire joujou avec des puces RFID ou NFC, du Blueetooth, de l’infrarouge et tout un tas d’autres choses auxquelles je dois admettre ne pas forcément tout comprendre.
Il est apparemment très pratique pour le pen testing, ou test de pénétration, qui consiste à évaluer la sécurité d’un système informatique.
Le problème, évidemment, c’est lorsqu’on produit un système informatique très mal sécurisé et qu’on n’a jamais pen testé.
Quoi qu’il en soit, les capacités réelles du Flipper Zero, aussi adorable soient-ils, semblent tout de même légèrement fantasmées : n’espérez pas acquérir cet engin pour pouvoir démarrer n’importe quel voiture ou dupliquer la carte bancaire de votre oncle (mais, avec un peu de chance, vous arriverez à ouvrir la trappe à rechargement d’une Tesla).
Alex Kulagin, le directeur des opérations de Flipper Zéro, a ainsi déclaré pour Gizmodo :
Flipper Zero ne peut pas être utilisé pour voler une quelconque voiture, et spécifiquement pas celles produites après les 1990s, car leurs systèmes de sécurité ont des codes tournant. Par ailleurs, cela requerrait de bloquer activement le signal depuis le propriétaire original, ce que le matériel de Flipper Zero est incapable de faire. Flipper Zero est destiné au développement et aux tests de sécurité et nous avons pris les précautions nécessaires pour nous assurer que l’appareil ne puisse pas être utilisé à des fins néfastes.
Personnellement, ce que je mettrais surtout en avant, c’est que si un constructeur met sur le marché une voiture qui peut être piratée aussi facilement, alors sa responsabilité devrait clairement être engagée et c’est plutôt elle qui porte une lourde part de responsabilité que le vendeur d’un gadget électronique.
La France, la transparence et Parcoursup
En attendant, en France, vous avez toujours le droit (pour l’instant) de commander un Flipper Zero, mais comme je n’ai pas de lien affilié avec Amazon ou un autre vendeur, je ne vais pas forcément vous recommander de le faire (personnellement, j’avoue que j’ai failli craque l’été dernier parce que c’est vraiment mignon et cool, mais, soyons honnête, je m’en serais peut-être servie deux heures). Ce qui n’empêche pas cette approche particulière de la sécurité informatique, consistant à essayer de cacher les problèmes sous le tapis, d’être aussi présente dans l’actualité hexagonale.
Récemment (enfin c’était en novembre mais on n’en a parlé que récemment), en effet, la justice a donné raison au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche qui refusait de publier le code source de Parcoursup (article ZDNet), malgré un avis favorable de la CADA (Commission d’Accès aux Documents Administratifs) après une demande de l’association Ouvre Boite.
La raison invoquée par le ministère est quelque peu croustillante, puisqu’on peut lire dans la décision de justice que le ministère mettait en avant que « le code source comportait de nombreuses vulnérabilités ».
Nulle doute que tous les élèves qui sont obligé·e·s de confier toutes leurs données personnelles (ainsi que leur avenir) à cette boite noire seront heureu·x·ses d’apprendre que le gouvernement lui-même dit que son système est troué comme du gruyère.
L’obscurité par la sécurité
Au départ, j’avais envie de mettre ces deux actualités en parallèle, parce qu’il me semblait que, dans les deux cas, il s’agissait d’une approche de sécurité par l’obscurité, qui consiste à baser sa sécurité non pas sur la robustesse des algorithmes de cryptographie, mais sur le fait qu’ils sont tenus — plus ou moins — secrets.
Pourtant, dans le cas de Parcoursup, il me semble assez probable que la sécurité ne soit, en réalité, qu’un prétexte pour que le code source en question ne soit pas rendu accessible, et ce malgré l’avis de la CADA. Il y a quelques mois, La Quadrature du Net avait publié des analyses de l’algorithme de la CAF qui montraient son caractère discriminant. On peut raisonnablement supposer que le gouvernement n’a pas forcément envie que l’algorithme de Parcoursup soit scruté de la même manière.
Mais même pour le cas canadien, il est évident qu’interdire l’importation du Flipper Zero ou autres engins équivalents (ce qui parait compliqué, parce qu’un smartphone jailbreaké permet déjà de faire pas mal de choses similaires) ne permettra probablement pas de réduire le nombre de voitures volées, et qu’il s’agit plutôt d’un moyen facile pour un politicien de faire croire qu’il agit.
Et, concernant la sécurité, il est évident qu’il n’y a pas que dans le domaine de l’informatique que des politiciens aiment bien utiliser ce prétexte pour se mettre en avant et ne pas avoir à répondre sur les questions gênantes.
Bref si la sécurité par l’obscurité est une approche aux résultats plus que mitigés, l’obscurité par la sécurité a, elle, de beaux jours devant elle.