Critique du jeu vidéo Like a Dragon : Infinite Wealth, développé par Ryū Ga Gotoku et publié par Sega
Dans les épisodes précédents
Like a Dragon : Infinite Wealth est la suite de Yakuza : Like A dragon, qui est sans aucun doute le jeu qui m’a le plus marquée ces dernières années, puisqu’il m’a non seulement fait faire l’intérêt des jeux Yakuza/Like a dragon (une petite dizaine en tout) mais est aussi clairement une source d’inspiration majeure pour mon projet actuel de roman au nom de code mystérieux 8–9‑3.
Yakuza : Like a Dragon était à l’époque un nouveau départ pour la série de jeux Yakuza, centrée à la fois sur un nouveau personnage et avec un tout nouveau système de jeu, et marque aussi le rebranding de Yakuza en Like a Dragon en Occident, ce qui rend la numérotation et les titres inutilement compliqués, mais voilà.
Contrairement à ses prédécesseurs, qui adoptaient un style que certain·e·s ont pu qualifier de beat’em all (tabassez-les tous) mais était déjà en vrai fortement empreint d’éléments de RPG, Yakuza : Like a Dragon relève du JRPG pur et dur au tour par tour. Ce qui est cohérent avec le choix comme personnage principal d’Ichiban Kasuga, ancien yakuza, perdant magnifique et sorte de Don Quichotte qui se prend pour un héros de Dragon Quest. On suivait donc son parcours, et Kazuma Kiryu, le protagoniste des jeux précédents, n’apparaissait que très brièvement et de manière relativement anecdotique.
Aujourd’hui encore, je recommande vraiment cet épisode si vous voulez découvrir la série, d’une part parce que je pense que c’est celui dont je préfère l’intrigue et aussi parce que grâce à ce choix de se centraliser sur un nouveau personnage il y a au final assez peu de références aux jeux précédents.
Ce n’est pas tout à fait le cas de cette suite, Like a Dragon : Infinite Wealth, qui non seulement reprend le personnage d’Ichiban Kasuga mais voit aussi réapparaitre Kazuma Kiryu comme personnage important. Il faut dire qu’entre-temps il y a eu Like a Dragon Gaiden: The Man Who Erased His Name, où il était à nouveau le protagoniste et qui voyait son point de vue pendant les évènements de Yakuza : Like a Dragon. Ouais, c’est un peu le bazar.
Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il est indispensable d’avoir fait Yakuza : Like a Dragon avant de jouer à ce nouvel opus, parce que l’intrigue reste complète en elle-même, mais si vous êtes du genre à vouloir voir les films dans l’ordre même quand ils sont à peu près indépendants, oui ça peut être mieux de commencer par celui-là.
Gameplay : du mieux en tout point
Si ce nouveau Like a Dragon se déroule en bonne partie dans un nouveau lieu, Hawaï, du point du système de jeu il ne déboussolera pas les personnes qui se sont essayées au précédent : il s’agit donc d’un JRPG au tour par tour punchy et efficace. Le système est peaufiné et amélioré : on peut maintenant déplacer son personnage, faire des attaques de dos, plus d’attaques en utilisant des accessoires (comme le fameux plot de circulation).
Globalement j’ai beaucoup aimé ce système de combat, qui a l’avantage de proposer des combats qui sont à la fois assez rapides et très cinématiques. En revanche ne vous attendez pas non plus à des sommets de tactique : clairement, ce qui compte avant tout c’est d’avoir suffisamment de niveaux et du matériel suffisamment puissant, et si certains bosses demanderont un peu de concentration on est loin des exigences que peuvent demander des RPG tactiques comme X‑Com ou Fire Emblem.
Comme pour le précédent, on a un système de jobs qui permet de beaucoup s’amuser et de varier un peu, avec des métiers toujours aussi barrés : sabreur, surfeur, hôte, pistolero, etc. pour les hommes, championne de tennis, idole, domina, etc. pour les femmes. Ce qui m’amène à ma critique principale dans ce système : cette répartition genrée des métiers est non seulement affreusement sexiste mais limite aussi inutilement les possibilités.
Autre petit point négatif : s’ils sont intéressants, les combats peuvent parfois être nombreux, et auraient sans doute gagné, lorsqu’on se déplace en ville, à être moins nombreux et/ou plus facilement esquivables.
À cette boucle de gameplay principale s’ajoutent tout un tas d’activités annexes, dont les classiques bornes d’arcade, jeux de cartes, shogi ou mah-jong, practice de golf ou de base-ball, et évidemment l’indispensable karaoké. En plus de ces habituels, il y a aussi quelques « gros morceaux » spécifiques à chaque épisode et dont je ne parlerai pas plus en détail parce qu’autant perso je me fiche qu’on me divulgâche l’histoire mais j’aime bien être surprise par la présence d’un mini-jeu. Il y aura en tout cas de quoi faire, et le jeu est diablement généreux.
Ce qui m’amène tout de même à une troisième critique, qui peut s’appliquer à l’ensemble des jeux de la franchise : malheureusement, ces jeux « annexes » ne le sont pas entièrement. Contrairement à un jeu comme Elden Ring qui fait confiance aux joueu·r·se·s et rend possible de complètement zapper une majorité du jeu, le studio Ryū Ga Gotoku a la fâcheuse tendance à vouloir absolument vouloir montrer ses gros minis-jeux dans l’intrigue principale. Cela conduit à devoir parfois passer une demi-heure dans un mini-jeu (ou une intrigue secondaire) avant de pouvoir reprendre la suite de l’aventure principale, plutôt que de pouvoir tomber dessus à son propre rythme à un moment où on a plutôt envie d’explorer ou de farmer des points d’expérience ou de l’argent.
Une intrigue moins géniale
Si la série des Yakuza/Like a Dragon est toujours très généreuse en termes de gameplay différents, elle l’est aussi en scènes cinématiques et dialogue, ce qui peut ne pas plaire à tout le monde. Personnellement, j’adore, et j’ai l’impression de binge-watcher une bonne série télé, mais je conviens que tout le monde n’apprécie pas de pouvoir poser la manette pendant tellement longtemps que la console va finir par mettre un message « Attention je vais me mettre en veille si t’appuies pas sur un bouton ».
Comme d’habitude, la mise en scène est d’excellente qualité et arrive à rendre un dialogue d’une dizaine de minutes intéressant. Même chose pour les acteur·ice·s, et comme pour l’épisode précédent le jeu dispose de sous-titres français (pas de doublage VF par contre) et une traduction de bonne qualité, même si j’ai observé quelques petites erreurs qui auraient pu être corrigées (et qui l’ont peut-être été depuis, j’ai vu qu’il y avait eu un patch parlant de localization issues, à voir).
Bref, on est plutôt sur du très bon, le jeu arrivant toujours à surfer sur la ligne de crêtes entre choses sérieuses et dramatiques et un côté absurde et humoristique. Comme d’habitude, il essaie aussi d’aborder un peu certaines thématiques sociales, comme la réintégration des anciens yakuzas, les personnes à la rue, ou la question des déchets que les pays riches voudraient juste pouvoir mettre sous le tapis. On est pas forcément sur un film de Ken Loach mais c’est toujours agréable de voir certains jeux vidéos parler de manière frontale de thématiques actuelles.
Malgré tout ça, je ne peux pas m’empêcher d’être un peu mitigée, parce que je trouve qu’on reste quand même un peu en deça de l’épisode précédent.
J’ai hésité à faire une section « avec spoilers » pour détailler exactement tous les points qui m’ont un peu posé problème mais je réalise que c’est plus « Comment j’aurais fait si c’était moi qui était scénariste » et ça n’a pas forcément grand intérêt.
Je dirai donc juste que, contrairement à son prédécesseur, je trouve que l’intrigue de ce jeu est lestée par les épisodes précédents, avec Kazuma Kiryu qui revient prendre beaucoup de place dans l’histoire en faisant essentiellement du Kazuma Kiryu, ce qui en soi peut donner des histoires intéressantes mais qu’on a déjà vues dans Yakuza Zero, 1, 2, 3, 4, 5, 6 et Like a Dragon : Gaiden.
À côté de ça, on a finalement assez peu de nouveaux personnages et, s’il n’est pas désagréable de retrouver Ichiban Kasuga, je ne suis pas sure que j’avais besoin de l’avoir en personnage principal. L’histoire d’Ichiban Kasuga était géniale dans le jeu précédent mais pour moi elle est plus ou moins conclue. J’aurais été contente qu’il apparaisse comme personnage jouable mais que l’intrigue tourne plus autour des nouveaux personnages et que ceux-ci soient plus approfondis.
Point positif à noter tout de même : malgré ma critique sur l’aspect sexiste du système de jobs, on a pour une fois un certain nombre de personnages féminins (on n’atteint certes pas la parité dans les personnages jouables pour autant), et que j’ai trouvées plutôt bien traitées, ce qui n’est pas toujours le cas dans les intrigues des jeux de cette série.
Fallait-il vraiment que ce soit une suite ?
S’agit-il donc d’une suite dispensable ? Eh bien, par certains côtés, non, parce que je suis contente que ce jeu ait existé et il m’a fait passer un très bon moment. En revanche, je pense vraiment qu’il n’était pas indispensable qu’il s’agisse d’une suite.
Après la sortie de Yakuza 6, la série, jusqu’ici centrée sur Kazuma Kiryu, commençait à s’essoufler. Le studio Ryū Ga Gotoku avait relancé les choses en lançant deux nouveaux jeux, centrés sur deux nouveaux personnages : d’un côté Judgment, spin-off centré sur le personnage de Yagami, un détective anciennement avocat, et de l’autre Yakuza : Like a Dragon centrée sur le personnage de Kasuga.
Les deux étaient, à mon avis, géniaux. Malheureusement, je ne suis pas sure que Ryū Ga Gotoku ait tiré les bonnes leçons de ce succès car, plutôt que de faire de nouveaux, certes dans le même univers et la même franchise, mais avec des nouveaux personnages et de nouvelles histoires, ils ont entre temps fait Lost Judgment, qui reprenait le personnage de Yagami, Like a Dragon : Gaiden, qui reprenait le personnage de Kiryu, et donc ce Like a Dragon : Infinite Wealth qui reprend le personnage de Kasuga.
Gageons que pour les épisodes suivants, le studio aura la sagesse d’explorer de nouveaux personnages et ne voudra faire autant d’épisodes centrés autour de Kasuga qu’il n’en a fait sur Kiryu.