Les tribulations de lesbiennes hooligans face à un sorcier nazi
Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à émerger, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres.
Elles sont prêtes à les recevoir.
À une époque, Razor était sorcière, mais elle est maintenant rangée des balais et n’aspire qu’à boire des coups avec ses copines en écoutant de la musique et en tâchant de vivre avec ses problèmes d’anxiété.
Lorsqu’une nana qu’elle a rencontrée en soirée a non seulement le mauvais gout de se faire sauvagement trucider, mais aussi celui de se relever d’entre les morts sans le moindre souvenir, Razor, embêtée, se retrouve bien obligée de lui proposer son aide.
Devoir baby-sitter une toute nouvelle vampire n’est pas ce qu’elle avait prévu mais reste dans ses cordes. Ce qui l’inquiète plus, c’est que les assassins risquent bien de vouloir finir le boulot.
Razor va devoir, à nouveau, faire appel à ses connaissances occultes et enfiler ses bottes de combat. Elle est, cependant, loin de se douter que l’ennemi auquel elle devra faire face, en plus de sortir des heures les plus sombres de l’histoire, a des comptes bien personnels à régler avec elle.
Heureusement, Razor n’est pas seule, et elle pourra compter sur le soutien de ses amies qui, à défaut d’avoir beaucoup d’expertise en tueurs surnaturels, sauront au moins faire preuve d’enthousiasme face à l’adversité.
« Au pire, il n’y aura qu’à se rabattre sur des vieux slogans : mieux vaut une seconde debout que toute une vie à genoux, vivre libre ou mourir, et autres conneries dans le genre. »
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Extrait
Assise sur le capot de sa vieille Clio première génération, Razor fumait une cigarette.
Razor était une femme d’un peu plus de trente ans, qui avait une coupe dite Chelsea : le crâne tondu, à l’exception d’une frange et de mèches sur les côtés. Elle portait un pantalon en jean moulant, des bretelles rouges et des docs coquées. Elle était plutôt grande, même si, de son point de vue, c’était le reste du monde qui était plutôt petit. En particulier sa Clio : ses genoux avaient tendance à toucher le volant quand elle conduisait. Cela n’avait pas que des inconvénients : ça lui permettait occasionnellement de vaguement diriger la voiture lorsqu’elle se roulait des cigarettes sur la route.
Razor se trouvait présentement devant le dépose-minute de la gare de Nantes. Elle attendait ses deux amies, qui ne devaient plus tarder, du moins, si le train était à l’heure. Razor espérait que ce ne serait pas le cas : un retard, disons, d’une heure, l’obligerait à enchainer des cigarettes sur un parking où personne ne venait lui parler plutôt que de profiter d’une conférence de sociologie. Une heure de retard, ce serait bien. Elle aurait une bonne excuse pour rater la présentation de son amie et n’aurait pas à passer une soirée avec plein de gens qu’elle ne connaissait même pas. Cette perspective l’angoissait déjà.
Les espoirs de Razor s’effondrèrent lorsqu’elle aperçut Karima et Betty sortir de la gare. Et merde. Leur train avait été ponctuel. On ne pouvait jamais faire confiance à la SNCF.
— Salut ! lança Karima une fois qu’elle fut arrivée à son niveau.
De son côté, Betty se contenta de lui faire un petit geste de la main. Razor descendit du capot et fixa Karima.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda celle-ci.
— Merde, Car, fit Razor, on a le même polo. Ça craint.
Karima baissa les yeux sur son polo, puis le compara avec celui de son amie et haussa les épaules.
— Ça va, répliqua-t-elle, on n’a pas les même chaussures.
Razor avait effectivement des rangers noires aux lacets rouges, alors que Karima avait des Adidas noires et blanches. Par ailleurs, cette dernière portait un pantalon de sport et non un jean. Razor était un peu rassurée : elle ne commettait pas une faute de gout.
Elle monta dans la voiture, bientôt imitée par ses deux amies : Karima à l’arrière, et Betty côté passager.
— Je ne comprends pas, demanda celle-ci, si ça te pose problème d’être habillée pareil que quelqu’un d’autre, pourquoi t’es skin ? Tous les skins s’habillent pareil. C’est pratiquement un putain d’uniforme.
Razor lui fit un doigt d’honneur pour toute réponse.
— Tu ne démarres pas ? demanda Karima.
— J’avais un truc à vous proposer avant, répondit Razor. On pourrait se faire un MacDo. Ou un ciné. On n’est pas obligées d’aller à cette conférence, si ?
— C’est notre pote, répondirent à l’unisson Betty et Karima.
Razor soupira et fit démarrer sa Clio. Elle ne pouvait rien répondre face à ça. Crow était leur pote, c’était un fait. Elle se contenta donc d’ouvrir sa fenêtre et d’allumer une nouvelle cigarette.
— Et puis, ajouta Betty tout en recoiffant ses longs cheveux blonds à l’aide du miroir du pare-soleil, son mémoire parle de films d’action. Ça va être cool.
Crow s’appelait en réalité Carolina, et se faisait appeler Crow, comme le corbeau, parce qu’elle était une gothique qui se prenait pour une vampire ; elle s’était même fait rallonger les canines. Elle était étudiante en sociologie, ce que Razor voyait comme un point négatif, mais elle considérait ses études comme une vaste blague. Elle avait réussi à faire un mémoire sur le genre. Plus exactement, sur l’évolution de la perception de la masculinité durant les trois dernières décennies. Plus exactement encore, sur l’évolution de la perception de la masculinité durant les trois dernières décennies à travers le cinéma.
Autrement dit, elle avait réussi à faire un mémoire en mettant les meilleurs one-liners d’Arnold Schwarzenegger, Sylvester Stallone, Bruce Willis, Vin Diesel, The Rock et toute la clique.
Razor devait l’admettre : Crow était plutôt chouette, malgré son trip vampirique. La plupart des suceurs de sang étaient déjà plutôt snobs, alors les gens qui n’étaient pas des vampires mais se prenaient pour des vampires étaient, disons, giga-snobs. Avec des queues de pie, des cannes, et une façon de considérer le commun des mortels comme de la merde.
Crow, c’était différent. Déjà, elle avait battu Cookie au bras de fer, ce qui la rendait forcément intéressante. Cookie n’était pas une championne du monde de bras de fer, mais elle était quand même plutôt balèze. En général, un type un peu costaud apprenait qu’elle aimait bien le bras de fer et voulait se mesurer à elle, parce qu’il pensait pouvoir gagner facilement face à une meuf, et elle l’humiliait. Face à Crow, ça avait un peu été l’inverse.
Bref, décida Razor, Crow méritait bien qu’elle fasse l’effort d’aller assister à son espèce de conférence où elle présenterait son mémoire. Et puis, dans l’absolu, ce n’était pas le pire. Karima avait commencé un doctorat. Ce qui voulait dire que dans quelques années, Razor devrait peut-être se fader une soutenance de thèse gavée de mathématiques, d’informatique et autre sciences occultes.
Toute occupée à ses réflexions sur les sacrifices à faire lorsqu’on avait des amies qui accomplissait des études prestigieuses, Razor mit un peu de temps à voir que le feu était vert. Elle s’empressa de débrayer, mais à cause de la précipitation, ou peut-être de ses docs coquées, elle cala misérablement.
Razor soupira et essaya de remettre en marche le moteur, mais celui-ci refusa.
— Allez, Tuture, râla Razor. Ce n’est pas le moment.
Derrière elle, une voiture se mit à la klaxonner parce qu’elle ne démarrait pas assez vite.
— Mais ta gueule, dugland ! lâcha Betty.
Alors que Razor parvenait enfin à faire redémarrer sa Clio capricieuse, la voiture qui était derrière elle commença à la doubler, mais s’arrêta à son niveau. C’était une Porsche rutilante.
— Alors, ma p’tite dame, on a des problèmes à démarrer ? lâcha le conducteur avant de s’élancer à nouveau en faisant patiner ses pneus.
— Mais va crever, sale trouduc ! gueula Betty.
Razor, de son côté, serrait les dents.
— Ma p’tite dame ? répéta-t-elle d’une voix trop calme pour être honnête.
La Clio s’élança alors comme une Clio ne pouvait pas s’élancer. Ses roues ne patinèrent pas : il ne s’agissait pas de faire un burn pour épater la galerie. La voiture bondit comme un félin qui sautait sur sa proie, sauf qu’elle ne prit pas le temps de baisser la tête en levant les fesses et en remuant la queue avant.
— Oh, Bonne Mère, fit Karima.
— Betty, il y a une bouteille sous ton siège, expliqua Razor. Tu pourrais tourner la valve ?
La passagère s’exécuta, tandis qu’elle rattrapait la Porsche au feu rouge suivant.
— Ce n’est pas de la nitro, hein ? demanda Karima. Dis-moi que tu n’as pas installé un kit nitro sur une Clio qui a plus de trois cent mille bornes au compteur.
Razor eut un grand sourire et déboita par la droite afin d’être juste à côté de la Porsche en attendant que le feu passe au vert. Elle n’était pas sur une vraie voie, mais il n’y avait rien de mal à être à moitié sur le trottoir.
— Hey, lança-t-elle par la fenêtre. Avec ta grosse voiture, je parie que t’as une petite bite.
Elle fit ensuite vrombir son moteur, et le feu passa au vert. Karima ferma les yeux, tandis que Betty les levait au ciel.
— T’as changé le moteur, aussi ?
— En quelque sorte, répondit Razor.
Occupée à accélérer au maximum, elle était obligée de crier pour se faire entendre.
— C’est un V8, ajouta-t-elle.
— Comment tu peux mettre un V8 dans le capot d’une Clio ? demanda Betty sans perdre son calme.
Karima, les yeux toujours fermés, tâtonna pour s’agripper à la poignée. Razor avait réussi à prendre un peu d’avance sur la Porsche, mais elle était encore à moitié sur le trottoir, et il y avait une borne d’incendie qui se rapprochait à une vitesse inquiétante.
— Il est plus grand à l’intérieur, expliqua Razor.
Elle déboita brusquement pour éviter la borne, obligeant la Porsche à freiner pour ne pas la percuter. Razor lui fit un doigt d’honneur alors qu’elle passait en tête au prochain feu (qui était, heureusement, au vert) puis tourna à droite dans un grand crissement de pneus.
— T’es complètement fada, soupira Karima alors qu’elle revenait à une allure plus normale.
— J’aime pas les connards qui klaxonnent, se contenta de répondre Razor.